Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/27

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de sang comme sa Religieuse en arrachait à Diderot, mais qui le fait sourire doucement de ce bon et calme sourire des esprits honnêtes et des consciences tranquilles. Vous lirez tout à l’heure cette histoire de Marianne, et dès les premières lignes vous serez frappé de tout le travail heureux, de toute la recherche naïve qu’il a fallu pour mener à bonne fin un pareil livre. À la première page, Marianne déclare au lecteur qu’elle a de l’esprit, mais que cet esprit-là n’est bon qu’à être dit, qu’il ne vaut rien à être lu. Elle se souvient de ses yeux d’autrefois, qui faisaient passer tant de choses. D’ailleurs qu’est-ce que le style ? Marianne ne sait pas seulement ce que c’est. Comment fait-on pour en avoir un ? Ici ce n’est pas Marianne qui parle, c’est Marivaux.

Tout le livre est ainsi rempli de réflexions singulières, de sentiments élevés, d’accidents vraisemblables, de ces vives et piquantes tournures, et surtout de portraits nets, vigoureux et bien sentis. Il est vrai que Diderot, dans un endroit de ses romans, s’écrie qu’il ne comprend pas qu’un bon roman soit rempli de portraits et d’images, quand on pourrait le remplir d’événements et de dialogues. Mais pourtant Diderot lui-même, quand se rencontre sous sa plume quelque physionomie bien tranchée, ne se fait pas faute d’en donner le dessin et le contour. Ouvrez la Marianne de Marivaux, ouvrez le Paysan perverti, une des plus originales productions de notre auteur, vous y trouverez une suite ingénieuse de charmants portraits dessinés avec le plus grand soin, avec l’art le plus exquis. La société du XVIIIe siècle s’y trouve tout entière. L’auteur les a vus de ses yeux, les a touchés de ses mains, ces hommes et ces femmes qui ne se dou-