Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/292

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veux dire seulement que madame de Fare devait du moins suspendre son jugement, et ne pas s’en rapporter à une femme de chambre, qui a pu mal entendre, qui a pu ajouter à ce qu’elle a entendu, et qui elle-même n’a raconté ce qu’elle a su que d’après une autre femme, qui, comme je l’ai dit, peut avoir été trompée par quelque ressemblance. Et supposez qu’elle ne se soit point méprise ; il s’agit ici de faits qui méritent bien qu’on s’en assure, ou qu’on les éclaircisse ; d’autant plus qu’il peut y entrer une infinité de circonstances qui changent considérablementles choses, comme le font les circonstances que je vous ai dites, et qui font bien voir que mademoiselle est à plaindre, mais qui ne donnent droit à qui que ce soit de la traiter comme on vient de le faire.

Et il fallait voir avec quel feu, avec quelle douleur s’énonçait Valville, et toute la tendresse qu’il mettait pour moi dans ce qu’il disait.

Si madame de Fare avait votre cœur et votre façon de penser, mademoiselle, ajouta-t-il, je lui aurais tout avoué ; mais je m’en suis abstenu. C’est un détail (vous me permettrez de le dire) qui n’est pas fait pour un esprit comme le sien. Quoi qu’il en soit, mademoiselle, elle vous aime, vous avez du pouvoir sur elle, tâchez d’obtenir qu’elle se taise ; dites-lui que ma mère le lui demande en grâce, et que, si elle y manque, c’est se déclarer notre ennemie, et m’outrager personnellement sans retour. Enfin, ma chère cousine, dites-lui l’intérêt que vous prenez à ce qui nous regarde et tout le chagrin qu’elle vous ferait à vous-même si elle ne vous gardait pas le secret.

Ne vous inquiétez point, lui repartit mademoiselle de Fare, elle se taira, monsieur ; je vais tout à l’heure me jeter à ses genoux pour l’y engager, et j’en viendrai à bout.

Mais du ton dont elle nous le promettait, on voyait bien qu’elle souhaitait plus de réussir qu’elle ne l’espérait, et elle avait raison.

Pendant qu’ils s’entretenaient ainsi, je soupirais, et j’étais consternée. Il n’y a plus de remède, m’écriais-je quelque-