Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/293

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fois ; nous n’en reviendrons point. En effet, qui n’aurait pas pensé que cet événement-ci romprait notre mariage, et qu’il en naîtrait des obstacles insurmontables ?

Et si madame de Miran les surmonte, me disais-je en moi-même, si elle a ce courage-là, aurai-je celui d’abuser de toutes ses bontés, de l’exposer à tout le blâme, à tous les reproches qu’elle en essuiera de sa famille ? Pourrai-je être heureuse, si mon bonheur dans les suites devient un sujet de honte et de repentir pour elle ?

Voilà ce qui me passait dans l’esprit, en supposant même que madame de Miran ne se rebutât point, et tînt bon contre l’ignominie que cette aventure-ci répandrait sur moi si elle éclatait, comme il y avait tout lieu de croire qu’elle éclaterait.

Les deux carrosses, celui de madame de Fare et celui de Valville, arrivèrent dans la cour. Mademoiselle de Fare m’embrassa ; elle me tint longtemps entre ses bras, je ne pouvais m’en arracher ; et je montai la larme à l’œil dans le carrosse de Valville, renvoyée, pour ainsi dire avec moquerie, d’une maison où l’on m’avait reçue la veille avec tant d’accueil.

Me voici partie ; Valville me suivait dans l’équipage de madame de Fare ; nous nous trouvions quelquefois de front, et nous nous parlions alors.

Il affectait une gaîté qu’assurément il n’avait pas ; et dans un moment où son carrosse était extrêmement près du mien : Songez-vous encore à ce qui s’est passé ? me dit-il assez bas, et en avançant sa tête. Pour moi, ajouta-t-il, il n’y a que l’attention que vous y faites qui me fâche.

Non, non, monsieur, lui répondis-je, ceci n’est pas aussi indifférent que vous le croyez ; et moins vous y êtes sensible, et plus vous méritez que j’y pense.

Nous ne saurions continuer la conversation, me répondit-il ; mais allez-vous rentrer dans votre couvent, et ne jugez-vous pas à propos de voir ma mère auparavant ?

Il n’y a pas moyen, lui dis-je ; vous savez l’état où nous avons laissé M. de Climal ; madame de Miran est peut-être