Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pondre, me parut plus rêveuse que triste, et puis me dit en faisant un léger soupir :

Tu m’affliges, ma fille, et cependant tu m’enchantes ; il faut convenir avec toi que tu as un malheur bien obstiné. N’y aurait-il pas moyen, sans que je m’en mêlasse, d’engager cette lingère à dire qu’en effet elle s’est méprise ? Dis-moi, que lui répondis-tu alors ?

Rien, ma mère, lui repartis-je ; je ne sus que pleurer, pendant que mademoiselle de Fare s’obstinait à lui dire qu’elle ne me connaissait pas.

Pauvre enfant ! reprit madame de Miran ; vraiment non, je ne savais rien de cela ; mon fils n’a eu garde de me l’apprendre ; et comme tu le dis, il est bien pardonnable, et peut-être même t’a-t-il recommandé de ne m’en point parler.

Hélas ! ma mère, repris-je, je vous ai dit qu’il m’aime ; c’est toujours son excuse ; et ce n’est que d’aujourd’hui qu’il m’a priée de me taire.

Comment ! d’aujourd’hui ! s’écria-t-elle ; est-ce qu’il t’est venu voir ? Non, madame, repartis-je, mais il m’a écrit, et je vous conjure de ne lui point dire que je vous l’ai avoué. C’est le laquais que vous m’avez envoyé hier qui m’a apporté ce petit billet de sa part ; et sur-le-champ je le lui remis entre les mains. Elle le lut.

Je ne saurais blâmer mon fils, dit-elle ensuite, mais tu es une fille étonnante, et il a raison de t’aimer. Va, ajouta-t-elle en me rendant le billet, si les hommes étaient raisonnables, il n’y en a pas un, quel qu’il soit, qui ne lui enviât sa conquête. Notre orgueil est bien petit auprès de ce que tu fais là ; tu n’as jamais été plus digne du consentement que j’ai donné à l’amour de Valville, et je ne me rétracte point. À quelque prix que ce soit, je tiendrai parole ; je veux que tu vives avec moi, tu seras ma consolation ; tu me dégoûtes de toutes les filles qu’on pourrait m’offrir pour mon fils, il n’y en a pas une qui pût m’être supportable après toi ; laisse-moi faire. Si madame de Fare, qui, à te dire la vérité, est une bien petite femme, et l’esprit le plus frivole que je con-