Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/300

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naisse ; si elle n’a encore rien répandu de ce qu’elle sait (ce qui est difficile à croire, vu son caractère), je lui écrirai ce soir d’une manière qui la retiendra peut-être. Dans le fond, comme je te l’ai dit, elle n’est que frivole et point méchante. Je la verrai ensuite, je lui conterai toute ton histoire ; madame de Fare est curieuse, elle aime qu’on lui fasse des confidences : je la mettrai dans la nôtre, et elle m’en sera si obligée qu’elle sera la première à me louer de ce que je fais pour toi, et qu’elle pensera de ta naissance pour le moins aussi avantageusement que moi, qui pense qu’elle est très bonne. Et supposons qu’elle ait déjà été indiscrète ; n’importe, ma fille, on trouve des remèdes à tout, console-toi. J’en imagine un ; il ne s’agit, dans cette occurrence-ci, que de me mettre à l’abri de la censure. Il suffira que rien ne retombe sur moi. À l’égard de Valville, il est jeune ; et, quelque bonne opinion qu’on ait de lui, il a beaucoup d’amour ; tu es de la plus aimable figure du monde, et la plus capable de mener loin le cœur de l’homme le plus sage ; or, si mon fils t’épouse, et qu’on soit bien sûr que je n’y ai point consenti, il aura tort, et ce ne sera pas ma faute. Au surplus, je suis bonne, on me connaît pour telle ; je ne manquerai pas d’être irritée, mais enfin je pardonnerai tout. Tu entends bien ce que je veux dire, Marianne, ajouta-t-elle en souriant.

À quoi je ne répondis qu’en me jetant comme une folle sur une main dont, par hasard, elle tenait alors un des barreaux de la grille.

Je pleurai d’aise, je criai de joie, je tombai dans des transports de tendresse, de reconnaissance ; en un mot, je ne me possédais plus, je ne savais plus ce que je disais : Ma chère mère, mon adorable mère ! ah ! mon Dieu, pourquoi n’ai-je qu’un cœur ? Est-il possible qu’il y en ait un comme le vôtre ? Ah ! Seigneur, quelle âme ! et mille autres discours que je tins, et qui n’avaient point de suite.

As-tu pu croire qu’une aussi louable sincérité que la tienne tournerait à ton désavantage auprès d’une mère comme moi, Marianne ? me dit madame de Miran, pendant que je