Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/302

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avait-il de revers plus terrible pour moi que celui que je venais d’essuyer, et dont je sortais victorieuse ? Non sans doute, et puisque la bonté de madame de Miran à mon égard résistait à d’aussi puissants motifs de dégoût, je pouvais défier le sort de me nuire ; c’en était fait, ceci épuisait tout ; et je n’avais plus contre moi, raisonnablement parlant, que la mort de ma mère, celle de son fils, ou la mienne.

Encore celle de ma mère, qui, je crois (et l’amour me le pardonne,) qui, dis-je, m’aurait, je pense, été plus sensible que celle de Valville même, n’aurait pas, suivant toutes apparence, empêché pour lors notre mariage ; de sorte que je nageais dans la joie, et je me disais : Tous mes malheurs sont donc finis ; et qui plus est, si mes premières infortunes sont commencé par être excessives, il me semble que mes premières prospérités commencent de même ; je n’ai peut-être pas perdu plus de biens que j’en retrouve ; la mère à qui je dois la vie n’aurait peut-être pas été plus tendre que la mère qui m’adopte, et ne m’aurait pas laissé un meilleur nom que celui que je vais porter.

Madame de Miran me tint parole : dix ou onze jours se passèrent sans que je la visse ; mais presque tous les jours elle envoyait au couvent, et je reçus aussi deux ou trois billets de Valville, et ceux-ci, sa mère les savait ; je ne vous les rapporterai point, il y en avait de trop longs. Voici seulement ce que j’ai retenu du premier :

« Vous m’avez décelé à ma mère, mademoiselle (c’est que j’avais montré son dernier billet à madame de Miran,) mais vous n’y gagnerez rien ; au contraire, au lieu d’un billet ou deux que j’aurais tout au plus hasardé de vous écrire, vous en recevrez trois ou quatre, et davantage ; en un mot, tant qu’il me plaira, car ma mère le veut bien ; il faut, s’il vous plaît, que vous le vouliez bien aussi. Je vous avais priée de ne lui dire ni l’impertinence de la Dutour, ni le sot procédé de madame de Fare, et vous n’avez pas tenu compte de ma prière ; vous avez un petit cœur mutin, qui s’est avisé d’être plus franc et plus géné-