Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/301

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me livrais à tous les mouvements que je viens de vous dire.

Hélas ! madame, est-ce qu’on peut s’imaginer rien de semblable à vous et à vos sentiments ? lui répondis-je, quand je fus un peu plus calmée. Si je n’y étais pas un peu accoutumée, je ne le croirais pas. Serre donc le parchemin que je t’ai donné, me dit-elle (c’était ce contrat dont elle parlait). Sais-tu bien que, suivant la date de la donation, il t’est déjà dû un premier quartier de la rente, et que je te l’apporte ? Le voilà, ajouta-t-elle en tirant de sa poche un petit rouleau de louis d’or, qu’elle me força de prendre à cause que je le refusais ; je voulais qu’elle me le gardât.

Il sera mieux entre vos mains qu’entre les miennes, lui disais-je ; qu’en ferai-je ? Ai-je besoin de quelque chose avec vous ? Me laissez-vous manquer de rien ? N’ai-je pas tout en abondance ? J’ai encore de l’argent que vous m’avez donné vous-même (cela était vrai), et celui dont j’ai hérité à la mort de la demoiselle qui m’a élevée me reste aussi. Prends toujours, me dit-elle, prends, il faut bien t’accoutumer à en avoir, et celui-ci est à toi.

Alors nous entendîmes ouvrir la porte du parloir où j’étais. Je serrai donc ce rouleau, et nous vîmes entrer l’abbesse du couvent.

J’ai su que vous étiez ici, dit-elle à madame de Miran, ou plutôt à ma mère, car je ne dois plus l’appeler autrement. Ne l’était-elle pas, si elle n’était pas même quelque chose de mieux ?

J’ai su que vous étiez ici, madame, lui dit donc l’abbesse d’un ton de condoléance (à cause que je lui avais dit la mort de M. de Climal), et je viens pour avoir l’honneur de vous voir un moment ; je devais cette après-midi envoyer chez vous, je l’avais dit à mademoiselle.

Elles eurent ensuite un instant de conversation très sérieuse ; madame de Miran se leva. Je serai quelque temps sans vous revoir, et même sans sortir, Marianne, me dit-elle ; adieu ; et puis elle salua l’abbesse et partit. Jugez de la tranquillité où elle me laissa. Qu’avais-je désormais à craindre ? Par où mon bonheur pouvait-il m’échapper ? Y