Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/304

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Vous m’excuserez, me répondit-elle ; mais, pour en être plus sûre, je vous dirai que la Marianne que je cherche est une jeune fille orpheline, qui, dit-on, ne connaît ni ses parents ni sa famille, qui a demeuré quelques jours en apprentissage chez une marchande lingère, appelée madame Dutour, et que madame la marquise de Fare emmena ces jours passés à sa maison de campagne. À tout ce que je dis là, mademoiselle, cette Marianne qui est pensionnaire de madame de Miran, n’est-ce pas vous ?

Oui, madame, lui repartis-je ; quelque intention que vous ayez en me le demandant, c’est moi-même, je ne le nierai jamais ; j’ai trop de cœur et trop de sincérité pour cela.

C’est fort bien répondu, reprit-elle : vous êtes très aimable, c’est dommage que vous portiez vos vues un peu trop haut. Adieu, la belle fille, je ne voulais pas en savoir davantage ; et là-dessus, sans autre compliment, elle rouvrit la porte du parloir pour s’en aller.

Étonnée de cette singulière façon d’agir, je restai d’abord comme immobile, et puis la rappelant sur-le-champ : Madame, lui criai-je, madame, à propos de quoi me venez-vous donc voir ? Êtes-vous parente de madame de Miran, comme vous me l’avez fait dire ? Oui, ma belle enfant, très parente, me repartit-elle, et une parente qui aura un peu plus de raison qu’elle.

Je ne sais pas vos desseins, madame, repris-je à mon tour ; mais ce serait bien mal fait à vous, si vous veniez ici pour me surprendre. Elle ne me répondit rien, et acheva de descendre.

Qu’est-ce que cela signifie ? m’écriai-je toute seule, et à quoi tend une visite si extraordinaire ? Est-ce encore quelque orage qui vient fondre sur moi ? Il en sera tout ce qu’il pourra, mais je n’y entends rien.

Et là-dessus je retournai à ma chambre, dans la résolution d’informer madame de Miran de ce nouvel accident, non que je crusse qu’il y eût du mal à ne lui en rien dire ; car de quelle conséquence cela pourrait-il être ? Je n’y en voyais aucune ; mais il y aurait toujours eu quelque mystère