Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/305

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à ne lui en point parler ; et ce mystère, tout indifférent qu’il me paraissait, je me le serais reproché, il me serait resté sur le cœur.

En un mot, je n’aurais pas été contente de moi. Et puis, me direz-vous, vous ne couriez aucun risque à être franche ; vous deviez même y avoir pris goût, puisque vous ne vous en étiez jamais trouvée que mieux de l’avoir été avec madame de Miran, et qu’elle avait toujours récompensé votre franchise.

J’en conviens, et peut-être ce motif faisait-il beaucoup dans mon cœur ; mais c’était du moins sans que je m’en aperçusse, je vous jure, et je croyais là-dessus ne suivre que les purs mouvements de ma reconnaissance.

Quoi qu’il en soit, j’écrivis à madame de Miran. Mardi, à telle heure, lui disais-je, est venue me voir une dame que je ne connais point, qui s’est dite votre parente, qui est faite de telle et telle manière, et qui, après s’être bien assurée que j’étais la personne qu’elle voulait voir, ne m’a dit que telle et telle chose (et là-dessus je rapportais ses propres paroles, que j’étais bien aimable, mais que c’était dommage que je portasse mes vues un peu trop haut ;) et ensuite, ajoutais-je, elle s’est brusquement retirée, sans autre explication.

Au portrait que tu me fais de la dame en question, me répondit par un petit billet madame de Miran, je devine qui ce peut être, et je te le dirai demain dans l’après-midi. Demeure en repos. Aussi y demeurai-je ; mais ce ne sera pas pour longtemps.

Entre dix et onze heures le lendemain matin, une sœur converse entra dans ma chambre, et me dit, de la part de l’abbesse, qu’il y avait une femme de chambre de madame de Miran qui venait pour me prendre avec le carrosse, et qu’ainsi je me hâtasse de m’habiller.

Je le crois, il n’y avait rien de plus positif ; et je m’habille.

J’eus bientôt fait ; un demi-quart d’heure après je fus prête, et je descendis.