Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/308

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que vous êtes ici ; on aurait pu vous enlever d’une manière qui eût fait plus d’éclat, mais on a jugé à propos d’y aller plus doucement ; et c’est moi qu’on a envoyée pour vous tromper, comme je l’ai fait.

Pendant qu’elle me parlait ainsi, on ouvrit la porte de la clôture, et je vis deux ou trois religieuses qui, d’un air souriant et affectueux, attendaient que je fusse descendue de carrosse, et que j’entrasse dans le couvent.

Venez, ma belle enfant, venez, s’écrièrent-elles : ne vous inquiétez point, vous ne serez pas fâchée d’être parmi nous. Une tourière approcha du carrosse, où, la tête baissée, je versais un torrent de larmes.

Allons, mademoiselle, vous plaît-il de venir ? me dit-elle en me donnant la main. Aidez-la de votre côté, ajouta-t-elle à la femme qui m’avait conduite ; et je descendis mourante.

Il fallut presque qu’elles me portassent ; je fus remise, pâle, interdite et sans force, entre les mains de ces religieuses, qui de là me portèrent, à leur tour, jusques à une chambre assez propre, où elles me mirent dans un fauteuil à côté d’une table.

J’y restai sans dire mot, toute baignée de mes larmes, et dans un état de faiblesse qui approchait de l’évanouissement. J’avais les yeux fermés ; ces filles me parlaient, m’exhortaient à prendre courage, et je ne leur répondais que par des sanglots et par des soupirs.

Enfin je levai la tête, et jetai sur elles une vue égarée. Alors une de ces religieuses me prenant la main, et la pressant entre les siennes :

Allons, mademoiselle, tâchez donc de revenir à vous, me dit-elle : ne vous alarmez point, ce n’est pas un si grand malheur que d’avoir été conduite ici ; nous ne savons pas le sujet de votre douleur, mais de quoi est-il question ? Ce n’est pas de mourir ; c’est de rester dans une maison où vous trouverez peut-être plus de douceur et plus de consolation que vous ne pensez ; Dieu n’est-il pas le maître ? Hélas ! peut-être le remercierez-vous bientôt de ce qui vous