Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chose de si engageant, que je ne pus me dispenser de goûter de ce potage, de manger du reste, et de boire un coup de vin et d’eau, toujours en refusant, toujours en disant : Je ne saurais.

Enfin, m’en voilà quitte ; me voilà, non pas consolée, mais du moins assez calme. À force de pleurer on tarit les larmes ; je venais de prendre un peu de nourriture ; on me caressait beaucoup, et insensiblement cette désolation à laquelle je m’étais abandonnée se relâcha ; de l’affliction je tombai dans la tristesse ; je ne pleurai plus, je me mis à rêver.

De quelle part me vient le coup qui me frappe ? me disais-je. Que pensera là-dessus madame de Miran ? Que fera-t-elle ? N’est-ce point cette parente de mauvais augure que j’aie vue à mon couvent, qui est cause de ce qui m’arrive ? Mais comment s’y est-elle prise ? Madame de Fare n’entre-t-elle pas dans le complot ? Quel dessein a-t-on ? Ma mère ne me secourra-t-elle point ? Découvrira-t elle où je suis ? Valville pourra-t-il se résoudre à me perdre ? Ne le gagnera-t-on pas lui-même ? Ne lui persuadera-t-on pas de m’abandonner ? Madame de Miran n’a-t-elle consenti à rien ? ou bien ne se rendra-t-elle pas à tout ce qu’on lui dira contre moi ? Ils ne me verront plus tous deux : on dit que l’autorité s’en mêle ; mon histoire deviendra publique. Ah ! mon Dieu, il n’y aura plus de Valville pour moi, peut-être plus de mère.

C’était ainsi que je m’entretenais ; les religieuses qui m’avaient reçue n’étaient plus avec moi ; la cloche les avait appelées au chœur. Une sœur converse me tenait compagnie, et disait son chapelet pendant que je m’occupais de ces douloureuses réflexions, que j’adoucissais quelquefois de pensées plus consolantes.

Ma mère m’aime tant ! C’est un si bon cœur, elle a été jusques ici inébranlable ; j’ai reçu tant de témoignages de sa fermeté ! Est-il possible qu’elle change jamais ? Que ne m’a-t-elle pas dit encore la dernière fois qu’elle m’a vue ! Je veux finir mes jours avec toi, je ne saurais plus me passer de ma fille ; et puis Valville est un si honnête homme,