Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/314

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milier davantage, pour mieux peindre mon indigence, pour rendre M. de Valville plus honteux de l’amour qu’il avait pour moi ; que veut-on de plus ? Je ne me suis point épargnée, j’en ai peut-être plus dit qu’il n’y en a, de peur qu’on ne s’y trompât ; il n’y a personne qui eût la cruauté de me traiter aussi mal que je l’ai fait moi-même ; et je ne comprends pas, après tout ce que j’ai avoué, comment madame de Miran et M. de Valville ne m’ont pas laissée là. Je devais les faire fuir ; je défierais qu’on imaginât une personne plus chétive que je me le suis rendue ; mais il n’y a plus rien à m’objecter à cet égard ; on ne saurait me mettre plus bas ; et les répétitions ne serviraient plus qu’à accabler une fille si affligée, si à plaindre et si infortunée, que vous, madame, qui êtes abbesse et religieuse, vous n’avez point d’autre parti à prendre que d’avoir pitié de moi, et que de refuser d’être de moitié avec les personnes qui me persécutent, et qui me font un crime d’un amour dont il n’a pas tenu à moi de guérir M. de Valville, amour qui est plutôt un effet de la permission de Dieu que de mon adresse et de ma volonté. Si les hommes sont si glorieux, ce n’est pas à une dame aussi pieuse et aussi charitable que vous à approuver leur mauvaise gloire ; et s’il est vrai aussi que j’aie beaucoup de mérite, ce que je n’ai pas la hardiesse de croire, vous devez donc trouver que j’ai tout ce qu’il faut. M. de Valville, qui est un homme du monde, ne m’en a pas demandé davantage, il s’est bien contenté de cela. Madame de Miran, qui est généralement aimée et estimée, qui a un rang à conserver aussi bien que ceux qui me nuisent, et qui n’aimerait pas plus à rougir qu’eux, s’en est contentée de même, quoique j’aie fait tout mon possible afin qu’elle ne s’en contentât point ; elle le sait ; cependant la mère et le fils pensent l’un comme l’autre. Veut-on que je leur résiste ; que je refuse ce qu’ils m’offrent, surtout quand je leur ai moi-même donné tout mon cœur, et que ce n’est ni leurs richesses ni leur rang que j’estime, mais seulement leur tendresse ? D’ailleurs, ne sont-ils pas les maîtres ? Ne savent-ils pas ce qu’ils font ? Les ai-je trompés ? Ne sais-je