Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/315

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pas que c’est trop d’honneur pour moi ? On ne m’apprendra rien là-dessus, madame ; ainsi, au nom de Dieu, n’en parlons plus ; je suis la dernière de toutes les créatures de la terre en naissance, je ne l’ignore pas ; en voilà assez. Ayez seulement la bonté de me dire à présent qui sont les gens qui m’ont mise ici, et ce qu’ils prétendent avec la violence dont ils usent aujourd’hui contre moi.

Ma chère enfant, me répondit l’abbesse en me regardant avec amitié, à la place de madame de Miran, je crois que je penserais comme elle ; j’entre tout à fait dans vos raisons ; mais ne le dites pas.

À ce discours, je lui pris la main que je baisai ; et cette action parut lui plaire et l’attendrir.

Je suis bien éloignée de vouloir vous chagriner, ma fille, continua-t-elle ; je ne vous ai parlé, comme vous venez de l’entendre, qu’à cause qu’on m’en a priée ; et, avant que vous vinssiez, je ne vous imaginais pas telle que vous êtes, il s’en faut de beaucoup. Je m’attendais à vous trouver jolie, et peut-être spirituelle ; mais ce n’était là ni l’esprit ni les grâces, et encore moins le caractère que je me figurais. Vous êtes digne de la tendresse de madame de Miran, et de sa complaisance pour les sentiments de son fils ; en vérité, très digne. Je ne connais point cette dame ; mais ce qu’elle fait pour vous me donne une grande opinion d’elle, et elle ne peut être elle-même qu’une femme d’un très grand mérite.

Que tout ce que je vous dis là ne vous passe point, je vous le répète, ajouta-t-elle en me voyant pleurer de reconnaissance ; et venons au reste.

C’est par un ordre supérieur que vous êtes ici ; et voici ce que je suis encore chargée de vous proposer.

C’est de vous déterminer ou à rester dans notre maison, c’est-à-dire à y prendre le voile, ou à consentir à un autre mariage.

Je souhaiterais que le premier parti vous plût, je vous l’avoue sincèrement et je le souhaiterais autant pour vous que pour moi, à qui l’acquisition d’une fille comme vous