Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/338

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actuellement des larmes ! Oui, madame, j’en pleure encore. Ah ! mon Dieu, que mon âme avait d’obligation à la sienne !

Hélas ! cette chère mère, cette âme admirable, elle n’est plus pour moi, et notre tendresse ne vit plus que dans mon cœur !

Passons là-dessus, je m’y arrête trop ; j’en perds de vue Valville, dont madame de Miran avait encore à soutenir le désespoir, et à qui, dans l’accablement où il se trouvait, elle avait défendu de paraître ; de sorte qu’il s’était tenu dans le carrosse pendant qu’elle interrogeait la tourière ; et sur ce qu’elle en apprit, toute languissante et tout indisposée qu’elle était, elle courut chez le ministre, persuadée que c’était là qu’il fallait aller pour savoir de mes nouvelles et pour me retrouver.

De toutes les personnes de la famille, celle avec laquelle elle était le plus liée, et qu’elle aimait le plus, c’était madame de… femme du ministre, qui l’aimait beaucoup aussi ; et, quoiqu’il fût certain que cette dame s’était prêtée au complot de la famille, ma mère ne douta point qu’elle n’eût eu beaucoup de peine à s’y résoudre, et se promit bien de la ranger de son parti dès qu’elle lui aurait parlé.

Et elle avait raison d’avoir cette opinion-là d’elle ; ce fut elle qui, comme vous l’allez voir, parut opiner qu’on me laissât en repos.

Voici donc madame de Miran et Valville qui entrent tout d’un coup dans la chambre où nous étions. C’était madame de… et non pas le ministre, que ma mère avait demandée d’abord, et les gens de la maison qu’on n’avait avertis de rien, et qui ignoraient de quoi il était question dans cette chambre, laissèrent passer ma mère et son fils, et leur ouvrirent tout de suite.

Dès qu’ils me virent tous deux (je vous l’ai déjà dit, je pense,) ils s’écrièrent, l’une, ah ! ma fille, tu es ici ! l’autre, ah ! ma mère, c’est elle-même.

Le ministre, à la vue de madame de Miran, sourit d’un air affable, et pourtant ne put se défendre, ce me semble,