Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/339

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d’être un peu déconcerté (c’est qu’il était bon, et qu’on lui avait dit combien elle aimait cette petite fille.) À l’égard des parents, ils la saluèrent d’un air extrêmement sérieux, jetèrent sur elle un regard froid et critique, et puis détournèrent les yeux.

Valville les dévorait des siens ; mais il avait ordre de se taire ; ma mère ne l’avait amené qu’à cette condition-là. Tout le reste de la compagnie parut attentif et curieux ; la situation promettait quelque chose d’intéressant.

Ce fut madame de… qui rompit le silence. Bonjour, madame, dit-elle à ma mère ; franchement on ne vous attendait pas, et j’ai bien peur que vous n’alliez être fâchée contre moi.

Eh ! d’où vient, madame, le serait-elle ? ajouta tout de suite cette parente longue et maigre (car je ne me ressouviens point de son nom, et n’ai retenu d’elle que la singularité de sa figure ;) d’où vient le serait-elle ? ajouta-t-elle d’un ton aigre et encore plus revêche que sa physionomie ; est-ce qu’on désoblige madame quand on lui rend service, et qu’on lui sauve les reproches de toute sa famille ?

Vous êtes la maîtresse de penser de mes actions ce qu’il vous plaira, madame, lui répondit d’un air indifférent madame de Miran ; mais je ne les réformerai point sur le jugement que vous en ferez ; nous sommes d’un caractère trop différent pour être jamais du même avis ; je n’approuve pas plus vos sentiments que vous n’approuvez les miens, et je ne vous en dis rien ; faites de même à mon égard.

Valville était rouge comme du feu ; il avait les yeux étincelants ; je voyais à sa respiration précipitée qu’il avait peine à se contenir, et que le cœur lui battait.

Monsieur, continua madame de Miran en adressant la parole au ministre, c’était madame de… que je venais voir, et voici l’objet de la visite que je lui rendais ce matin, ajouta-t-elle en me montrant. J’ai su qu’une des femmes de madame l’était venue prendre sous mon nom au couvent où je l’avais mise, et j’espérais qu’elle me dirait ce que cela signifie ; car je n’y comprends rien. A-t-on voulu se divertir