Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/345

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vous répondront qu’il n’y a rien d’établi en pareil cas, et vous n’auriez rien à leur répliquer, rien qui puisse vous justifier auprès d’eux, si vous portez la générosité jusqu’à un certain excès, tel que serait le mariage dont le bruit court, et auquel je n’ajoute point de foi. Je ne doute pas même que vous ne leviez volontiers tout soupçon sur cet article, et j’en ai trouvé un moyen qui est facile. J’ai imaginé de pourvoir avantageusement mademoiselle, de la marier à un jeune homme né de fort honnêtes gens, qui a déjà quelque bien, dont j’augmenterai la fortune, et avec qui elle se verra dans une situation très honorable. Je n’ai même envoyé chercher mademoiselle que pour lui proposer ce parti, qu’elle refuse, tout honnête et tout avantageux qu’il est ; de sorte que, pour la déterminer, j’ai cru devoir user d’un peu de rigueur, d’autant plus qu’il y va de son bien. J’ai même été jusqu’à la menacer de l’éloigner de Paris ; cependant son obstination continue ; cela vous paraît-il raisonnable ? Joignez-vous donc à moi, madame ; vos services vous ont acquis de l’autorité sur elle, tâchez de la résoudre, je vous prie ; voici le jeune homme en question, ajouta-t-il.

Et il lui montrait M. Villot, qui, quoique assez bien fait, avait alors, autant qu’on peut l’avoir, l’air d’un pauvre petit homme sans conséquence, dont le métier était de ramper et d’obéir, à qui même il n’appartenait pas d’avoir du cœur, et à qui on pouvait dire, retirez-vous, sans lui faire d’injure.

Voilà à quoi il ressemblait en cet instant, avec sa figure qui n’était qu’humble et point honteuse.

C’est un garçon fort doux et de fort bonnes mœurs, reprit le ministre en continuant, et qui vivra avec mademoiselle comme avec une personne à qui il devra la fortune que je lui promets à cause d’elle ; c’est ce que je lui ai bien recommandé de ne jamais oublier.

Le fils du nourricier de madame ne répondit à cela qu’en se prosternant, qu’en se courbant jusqu’à terre.

N’approuvez-vous pas ce que je fais là, madame ? dit encore le ministre à ma mère ; et n’êtes-vous pas contente ?