Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/344

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Oui, madame, vous avez raison, dit-il à madame de Miran ; on ne saurait qu’approuver les bontés que vous avez pour cette belle enfant ; vous êtes généreuse, cela est respectable, et les malheurs qu’elle a essuyés sont dignes de votre attention ; sa physionomie ne dément point non plus les vertus et les qualités que vous lui trouvez ; elle a tout l’air de les avoir, et ce n’est ni le soin que vous prenez d’elle, ni la bienveillance que vous avez pour elle, qui nous alarment. Je prétends moi-même avoir part au bien que vous voulez lui faire. La seule chose qui nous inquiète, c’est qu’on dit que M. de Valville a non seulement beaucoup d’estime pour elle, ce qui est très juste ; mais encore beaucoup de tendresse, ce que la jeune personne, faite comme elle est, rend très vraisemblable. En un mot, on parle d’un mariage qui est résolu, et auquel vous consentez, dit-on, par la force de l’attachement que vous avez pour elle ; et voilà ce qui intrigue la famille.

Et je pense que cette famille a droit de s’en intriguer, dit tout de suite la parente pie-grièche. Madame, je n’ai pas tout dit ; laissez-moi achever, je vous prie, lui repartit le ministre sans hausser le ton, mais d’un air sérieux ; madame vaut bien qu’on lui parle raison.

J’avoue, reprit-il, qu’il est probable, sur tout ce que vous nous rapportez, que la jeune enfant a de la naissance ; mais la catastrophe en question a jeté là-dessus une obscurité qui blesse, qu’on vous reprocherait, et dont nos usages ne veulent pas qu’on fasse si peu de compte. Je suis totalement de votre avis pourtant sur les égards que vous avez pour elle ; ce ne sera pas moi qui lui refuserai le titre de mademoiselle, et je crois avec vous qu’on le doit même à la condition dont elle est ; mais remarquez que nous le croyons, vous et moi, par un sentiment généreux qui ne sera peut-être avoué de personne ; que, du moins, qui que ce soit n’est obligé d’avoir, et dont peu de gens seront capables. C’est comme un présent que nous lui faisons, et que les autres peuvent se dispenser de lui faire. Je dirai bien avec vous qu’ils auront tort, mais ils ne le sentiront point ; ils