Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit le ministre ; que voulez-vous devenir ? Aimez-vous mieux être religieuse ? On vous l’a déjà proposé, et vous choisirez le couvent qu’il vous plaira. Voyez, songez à quelque état qui vous tranquillise ; vous ne voulez pas souffrir qu’on chagrine plus longtemps madame de Miran à cause de vous ; prenez un parti.

Non, monsieur, dit mon ennemie ; non, rien ne lui convient ; on l’aime, on l’épousera, tout est d’accord ; la petite personne n’en rabattra rien, à moins qu’on n’y mette ordre ; elle est sûre de son fait ; madame l’appelle déjà sa fille, à ce qu’on dit.

Le ministre à ce discours fit un geste d’impatience, qui la fit taire ; et moi reprenant la parole :

Vous vous trompez, madame, lui dis-je, à l’égard de la crainte qu’on a que M. de Valville ne m’aime trop, qu’il ne veuille m’épouser, et que madame de Miran n’ait la complaisance de le vouloir bien aussi ; on peut entièrement se rassurer là-dessus. Il est vrai que madame de Miran a eu la bonté de me tenir lieu de mère (je sanglotais en disant cela), et que je suis obligée, sous peine d’être la plus ingrate créature du monde, de la chérir et de la respecter autant que la mère qui m’a donné la vie ; je lui dois la même soumission, la même vénération, et je pense quelquefois que je lui en dois davantage ; car enfin je ne suis point sa fille, et cependant il est vrai, comme vous le dites, qu’elle m’a traitée comme si je l’avais été. Je ne lui suis rien ; elle n’aurait eu aucun tort de me laisser dans l’état où j’étais, ou bien elle pouvait se contenter en passant d’avoir pour moi une compassion ordinaire, et de me dire, je vous aimerai ; mais point du tout, c’est quelque chose d’incompréhensible que ses bontés pour moi, que ses soins, que ses considérations. Je ne saurais y songer, je ne saurais la regarder elle-même sans pleurer d’amour et de reconnaissance, sans lui dire dans mon cœur que ma vie est à elle, sans souhaiter d’avoir mille vies pour les lui donner toutes, si elle en avait besoin pour sauver la sienne ; et je rends grâces à Dieu de ce que j’ai occasion de dire cela publique-