Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/348

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ment ; ce m’est une joie infinie, la plus grande que j’aurai jamais, que de pouvoir faire éclater les transports de tendresse, et tous les dévoûments, et toute l’admiration que je sens pour elle. Oui, madame, je ne suis qu’une étrangère, qu’une malheureuse orpheline, que Dieu, qui est le maître, a abandonnée à toutes les misères imaginables ; mais quand on viendrait m’apprendre que je suis la fille d’une reine, quand j’aurais un royaume pour héritage, je ne voudrais rien de tout cela, si je ne pouvais l’avoir qu’en me séparant de vous ; je ne vivrais point, si je vous perdais ; je n’aime que vous d’affection ; je ne tiens sur la terre qu’à vous qui m’avez recueillie si charitablement, et qui avez la générosité de m’aimer tant, quoiqu’on tâche de vous en faire rougir, et quoique tout le monde me méprise.

Ici, à travers les larmes que je versais, j’aperçus plusieurs personnes de la compagnie qui détournaient la tête pour s’essuyer les yeux.

Le ministre baissait les siens, et voulait cacher qu’il était ému. Valville restait comme immobile, en me regardant d’un air passionné, et dans un parfait oubli de tout ce qui nous environnait ; et ma mère laissait bien franchement couler ses pleurs, sans s’embarrasser qu’on les vît.

Tu n’as pas tout dit, achève, Marianne, et ne parle plus de moi, puisque cela t’attendrit trop, me dit-elle en me tendant sans façon sa main, que je baisai de même ; achève…

Oui, madame, lui répondis-je. Vous m’avez dit, monseigneur, que vous m’éloigneriez de Paris, et que vous m’enverriez loin d’ici, si je refusais d’épouser ce jeune homme, repris-je donc en m’adressant au ministre, et vous êtes toujours le maître ; mais j’ai à vous répondre une chose qui doit empêcher messieurs les parents d’être encore inquiets sur le mariage qu’ils appréhendent entre M. de Valville et moi ; c’est que jamais il ne se fera : je le garantis, j’en donne ma parole, et on peut s’en fier à moi ; et, si je ne vous en ai pas assuré avant que madame de Miran arrivât, vous aurez la bonté de m’excuser, monseigneur ; ce qui m’a