Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/356

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Et cela me déplaisait ; j’avais peur aussi que Valville n’en fût un peu honteux ; peut-être, m’aimant autant qu’il faisait, ne s’en serait-il pas soucié ; mais heureusement nous ne fûmes exposés ni l’un ni l’autre au désagrément que j’imaginais ; et je goûtai tout à mon aise le plaisir de me trouver chez ma mère, et d’y être comme si j’avais été chez moi.

Ah çà ! ma fille, me dit-elle, viens que je t’embrasse à présent que nous sommes sans critique ; tout ceci a tourné on ne peut pas mieux ; on se doute de nos desseins, on les prévoit ; on n’a pas même paru les désapprouver ; le ministre t’a rendu ta parole en te remettant entre mes mains ; et, grâces au Ciel, on ne sera plus surpris de rien. Tu m’as dit tantôt les choses du monde les plus tendres, ma chère enfant ; mais, franchement, je les mérite bien pour tout le chagrin que tu m’a causé ; tu en as eu beaucoup aussi, n’est-il pas vrai ? As-tu songé à celui que j’aurais ? Que pensais-tu de ta mère ?

Elle me tenait ce discours, assise dans un fauteuil ; j’étais vis-à-vis d’elle ; et, me laissant aller à une saillie de reconnaissance, je me jetai tout d’un coup à ses genoux ; et puis la regardant après lui avoir baisé la main : Ma mère, lui dis-je, voilà M. de Valville ; il m’est bien cher, et ce n’est plus un secret, je l’ai publié devant tout le monde ; mais il ne m’empêchera pas de vous dire que j’ai mille fois plus encore songé à vous qu’à lui. C’était ma mère qui m’occupait, c’était sa tendresse et son bon cœur : que fera-t-elle, que ne fera-t-elle pas ? me disais-je ; et toujours ma mère dans l’esprit. Toutes mes pensées vous regardaient ; je ne savais pas si vous réussiriez à me tirer d’embarras ; mais ce que je souhaitais le plus, c’était que ma mère fût bien fâchée de ne plus voir sa fille ; je désirais cent fois plus sa tendresse que ma délivrance, et j’aurais tout enduré, hormis d’être abandonnée d’elle. J’étais si pleine de ce que je vous dis là, j’en étais tellement agitée, que j’en sentais quelque petite inquiétude dont je m’accuse, quoiqu’elle n’ait presque pas duré. J’ai pourtant songé aussi à M. de Valville ; car, s’il m’oubliait, ce serait une grande affliction pour moi, plus