Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/357

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grande que je ne puis le dire ; mais le principal est que vous m’aimiez ; c’est le cœur de ma mère qui m’est le plus nécessaire, il va avant tout dans le mien : car il m’a fait tant de bien, je lui ai tant d’obligation, il m’est si doux de lui être chère ! N’ai-je pas raison, monsieur ?

Madame de Miran m’écoutait en souriant. Levez-vous, petite fille, me dit-elle ensuite ; vous me faites oublier que j’ai à vous quereller de votre imprudence d’hier matin. Je voudrais bien savoir pourquoi vous vous laissez emmener par une femme qui vous est totalement inconnue ; qui vient vous chercher sans billet de ma part, et dans un équipage qui n’est pas à moi non plus. Où était votre esprit de n’avoir pas fait attention à tout cela, surtout après la visite suspecte que vous aviez reçue de ce grand squelette dont vous m’aviez si bien dépeint la figure ? Les menaces ne vous annonçaient-elles pas quelque dessein ? Ne devaient-elles pas vous laisser quelque défiance ? Vous êtes une étourdie ; et, pendant le séjour que vous ferez encore à votre couvent, je vous défends d’en sortir jamais qu’avec cette femme que vous venez de voir (elle parlait d’une femme de chambre qui avait paru il n’y avait qu’un moment), ou que sur une lettre de moi, quand je n’irai pas vous chercher moi-même ; entendez-vous ?

Là-dessus on servit, nous dînâmes. Valville mangea fort peu, et moi aussi ; ma mère y prit garde, elle en rit. Apparemment que la joie ôte l’appétit, nous dit-elle en badinant. Oui, ma mère, reprit Valville sur le même ton ; on ne saurait faire tant de choses à la fois.

Le repas fini, madame de Miran passa dans sa chambre, et nous l’y suivîmes. De là elle entra dans un petit cabinet, d’où elle m’appela. J’y allai. Donne-moi ta main, me dit-elle ; voyons si cette bague-ci te conviendra ; c’était un brillant de prix, et pendant qu’elle me l’essayait : Je vois, lui répondis-je, un portrait (c’était le sien) que j’aimerais mille fois mieux que la bague, toute belle qu’elle est, et que toutes les pierreries du monde ; troquons, ma mère ; cédez-moi le portrait, je vous rendrai la bague.