Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/36

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à qui il n’en faut pas montrer beaucoup pour les instruire. » — À coup sûr ce sont là de nobles pensées, de simples et belles formules dans lesquelles l’honnête homme se retrouve tout entier. Avec un peu de soin, il est vrai, il serait facile de découvrir un second portrait de Marivaux dans ces fines esquisses. « L’honnête homme, dit-il (et ce jour-là il devait être bien accablé et bien seul, il devait penser à sa femme qui était morte, à sa fille qui l’avait quitté pour prier Dieu), l’honnête homme est presque toujours triste, presque toujours sans bien, presque toujours humilié. Il n’a point d’amis parce que son amitié n’est bonne à rien ; on dit de lui : C’est un honnête homme ! mais ceux qui le disent le fuient, le dédaignent, le méprisent, rougissent même de se trouver avec lui ; et pourquoi ? c’est qu’il n’est qu’estimable. » Dans une autre page, on lit encore ces lignes cruelles : « Les bienfaits des hommes sont accompagnés d’une maladresse si humiliante pour ceux qui les reçoivent ! Imaginez-vous qu’on avait épluché ma misère pendant une heure ; qu’il n’avait été question que de la compassion que j’inspirais, que du grand mérite qu’il y avait à me faire du bien : jamais la charité n’étala ses tristes devoirs avec tant d’appareil. J’avais le cœur noyé dans la honte ; et, puisque j’y suis, je vous dirai que c’est quelque chose de bien cruel que d’être abandonné au secours de certaines gens… » et tout le reste de ce passage. On n’écrit pas ainsi sans être tout rempli de son sujet. Ce n’est pas que Marivaux ait jamais manqué d’orgueil ; il en avait au contraire, et du plus fier et du plus noble. Accablé de toutes parts sous les critique les plus violentes, il n’a jamais répondu aux insulteurs. Il a suivi en ceci le sage exemple de Fontenelle son ami, qui avait une chambre remplie de satires et d’épigram-