Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/35

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de Sylla et d’Eucrate, cette admirable page d’histoire que Tacite lui-même n’eût pas démentie. À la rigueur, on comprend fort bien que le traité du je ne sais quoi ait été attribué à l’auteur du Temple de Gnide ; mais donner le dialogue de Sylla et d’Eucrate à l’auteur de Marianne, la méprise est trop violente, convenez-en.

Avec un pareil homme, plein de réflexions, de moralités, de sentences, de retours sur lui-même, il était bien facile de composer un recueil de pensées. En ceci même, consiste une des affectations innocentes de notre auteur ; il se plaît à couper ses phrases de façon qu’on les puisse extraire facilement de la page dans laquelle elles sont enfermées. Il a plusieurs des réticences empesées du penseur ; car je ne sache pas de métier plus triste que d’aller sans fin et sans cesse d’une formule à une autre formule, et d’enfermer entre quatre murailles une idée qui n’est souvent qu’une apparence d’idée. Voulez-vous cependant que nous tirions, nous aussi, quelques pensées sérieuses de tous ces badinages : — « Le négligé des femmes est l’équivalent de la nudité. — Le négligé est le chef-d’œuvre de l’envie de plaire, il finit les chicanes de l’amour-propre. — En amour, querelle vaut encore mieux qu’éloge. — Les passions des hypocrites sont naturellement lâches quand on les désespère. — Il faut avoir des vertus pour s’apercevoir qu’on en manque. — Le monde ne veut ni qu’on se donne à Dieu, ni qu’on le quitte. — L’hypocrisie, tout affreuse qu’elle est, sert à l’ordre. Un seul homme qui aime la vertu en force dix autres, qui n’en ont point, à faire comme s’ils en avaient. — Rien ne flatte plus notre amour-propre que d’humilier ceux qui nous méprisent. — Les dévots fâchent le monde, et les gens pieux l’édifient. — Il y a des âmes pensantes