Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/366

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n’aurais pu faire ; je ne serais pas même convenue qu’il me déplaisait ; je pense que ce petit dépit que j’en avais me faisait agir sans que je le connusse ; comment en aurais-je connu les motifs ? Et, suivant toute apparence, Valville y entendait aussi peu de finesse que moi.

Il fallait bien cependant qu’il se passât quelque chose d’extraordinaire en lui ; car vous avez vu la brusquerie avec laquelle je lui avais parlé deux ou trois fois, et il ne l’avait pas remarquée, il n’en fut point surpris, comme il n’aurait pas manqué de l’être dans un autre temps ; ou bien il la souffrit en homme qui la méritait, qui se rendait justice à son insu, et qui était coupable dans le fond de son cœur ; aussi l’était-il, mais il l’ignorait. Poursuivons.

Les religieuses attendaient toujours que la demoiselle entrât. Elle nous remercia, madame de Miran et moi, de fort bonne grâce, mais avec un air modeste, du service que nous venions de lui rendre. Je m’imaginai la voir un peu plus embarrassée dans le compliment qu’elle fit à Valville, et elle baissa les yeux en lui parlant. Allons, ma mère, ajouta-t-elle ensuite, c’est demain le jour de départ ; vous n’avez pas de temps à perdre, et il est temps que j’entre. Là-dessus elles s’embrassèrent, non sans verser encore beaucoup de pleurs.

J’ai supprimé toutes les politesses que madame de Miran et la dame étrangère s’étaient faites. Cette dernière lui avait même conté en peu de mots les raisons qui l’obligeaient à laisser la jeune personne dans le couvent.

Ma fille, me dit ma mère en les voyant s’embrasser pour la dernière fois, puisque vous allez avoir l’honneur d’être la compagne de mademoiselle, tâchez de gagner son amitié, et n’oubliez rien de ce qui pourra contribuer à la consoler.

Voilà bien de la bonté, madame, repartit aussitôt la dame étrangère ; je prendrai donc à mon tour la liberté de vous la recommander à vous-même. À quoi madame de Miran répondit qu’elle demandait aussi la permission de la faire venir chez elle, quand elle m’enverrait chercher ; ce qui