Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/369

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des tons, des serrements de main, avec des regards dont la douceur pénétrait l’âme et entraînait la persuasion ; de sorte que nous nous liâmes du commerce de cœur le plus étroit.

Elle était pour ainsi dire étrangère, quoiqu’elle fût née en France ; son père était mort, sa mère partait pour l’Angleterre, elle y pouvait mourir ; peut-être cette mère venait-elle de lui dire un éternel adieu ; peut-être au premier jour annoncerait-on à sa fille qu’elle était orpheline ; et moi j’en étais une ; mes infortunes allaient bien au-delà de celles qu’elle avait à appréhender, mais je la voyais en danger d’éprouver une partie des miennes. Je songeais donc que son sort pourrait avoir bientôt quelque ressemblance avec le mien, et cette réflexion m’attachait encore plus à elle ; il me semblait voir en elle une personne qui était plus réellement ma compagne qu’une autre.

Elle me confiait son affliction ; et, dans l’attendrissement où nous étions toutes deux, dans cette effusion de sentiments tendres et généreux à laquelle nos cœurs s’abandonnaient, comme elle m’entretenait des malheurs de sa famille, je lui racontai aussi les miens, et les racontai à mon avantage, non par aucune vanité, prenez garde, mais, ainsi que je l’ai déjà dit, par un pur effet de la disposition d’esprit où je me trouvais. Mon récit devint intéressant ; je le fis, de la meilleure foi du monde, dans un goût tragique ; je parlai en déplorable victime du sort, en héroïne de roman, qui ne disait pourtant rien que de vrai, mais qui ornait la vérité de tout ce qui pouvait la rendre touchante, et me rendre moi-même une infortunée respectable.

En un mot, je ne mentis en rien, je n’en étais pas capable, mais je peignis dans le grand : mon sentiment me menait ainsi sans que j’y pensasse.

Aussi la belle Varthon m’écoutait-elle en me plaignant, en soupirant avec moi, en mêlant ses larmes avec les miennes ; car nous en répandions toutes deux : elle pleurait sur moi, je pleurais sur elle.

Je lui fis l’histoire de mon arrivée à Paris avec la sœur du