Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

curé, qui y était morte ; je traitai le caractère de cette sœur aussi dignement que je traitais mes aventures.

C’était, disais-je, une personne qui avait eu tant de dignité dans ses sentiments, dont la vertu avait été si aimable, qui m’avait élevée avec des égards si tendres, et qui était si fort au-dessus de l’état où le curé son frère et elle vivaient à la campagne ! Et cela était encore vrai.

Ensuite je rapportai la situation où j’étais restée après sa mort ; et ce que je dis là-dessus fendait le cœur.

Le père Saint-Vincent, M. de Climal, que je ne nommai point (mon respect et ma tendresse pour sa mémoire m’en auraient empêchée, quand j’en aurais eu envie), l’injure qu’il m’avait faite, son repentir, sa réputation, la Dutour même chez qui il m’avait mise, si peu convenablement pour une fille comme moi ; tout vint à sa place, aussi bien que madame deMiran, à qui, dans cet endroit de mon récit, je ne songeai point non plus à donner d’autre nom que celui d’une dame que j’avais rencontrée, sauf à la nommer après, quand je serais hors de ce ton romanesque que j’avais pris. Je n’avais omis ni ma chute au sortir de l’église, ni le jeune homme aimable et distingué par sa naissance chez lequel on m’avait portée ; et peut-être, dans le reste de mon histoire, lui aurais-je appris que ce jeune homme était celui qui l’avait secourue ; que la dame qu’elle venait de voir était sa mère, et que je devais bientôt épouser son fils, si une sœur converse qui entra ne nous eût pas averties qu’il était temps d’aller souper ; ce qui m’empêcha de continuer et de mettre au fait mademoiselle Varthon, qui n’y était pas encore, puisque j’en restais à l’endroit où madame de Miran m’avait trouvée ; ainsi cette demoiselle ne pouvait appliquer rien de ce que je lui avais dit aux personnes qu’elle avait vues avec moi.

Nous allâmes donc souper. Mademoiselle Varthon, pendant le repas, se plaignit d’un grand mal de tête, qui augmenta et qui l’obligea, au sortir de table, de retourner dans sa chambre où je la suivis ; mais comme elle avait besoin de repos, je la quittai après l’avoir embrassée ; et rien de