Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/374

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Eh ! Jésus Maria ! à quoi est-ce que vous allez rêver, mademoiselle ? me dit cette converse. Vous me faites peur, il semble que vous vouliez faire votre testament. Savez-vous bien que vous offensez Dieu d’aller vous mettre ces choses-là dans l’esprit, au lieu de le remercier de la grâce qu’il vous fait d’être mieux que vous n’étiez ? Eh ! ma chère sœur, ne me refusez pas, lui repartis-je il ne s’agit que de deux lignes, il ne faut qu’un instant.

Eh ! mon Dieu, reprit-elle en se levant, je m’en fais une conscience ; me voilà toute tremblante, avec vos deux lignes. Tenez, êtes-vous bien ? ajouta-t elle en me tenant sur mon séant. Oui, lui dis-je ; approchez-moi l’écritoire.

La mienne était garnie de tout ce qu’il fallait, et je me hâtai de finir avant que personne arrivât.

Je donne à madame de Miran, à qui je dois tout, le contrat que feu M. de Climal son frère a eu la charité de me laisser. Je donne aussi à la même dame tout ce que j’ai en ma possession, pour en disposer à sa volonté. » Je signai ensuite Marianne, et je gardai le billet que je mis sous mon chevet, dans le dessein de le remettre à ma mère, quand elle serait venue. Elle ne tarda pas ; à peine y avait-il un quart d’heure que mon petit codicille était écrit, lorsqu’elle arriva.

Eh bien ! ma fille, comment es-tu ce matin ? me dit-elle en me tâtant le pouls. Encore mieux qu’hier, ce me semble, et je te crois guérie ; il ne te faut plus que des forces.

Je pris alors mon petit papier, et le lui glissai dans la main, Que me donnes-tu là ? s’écria-t-elle ; voyons. Elle l’ouvrit, le lut, et se mit à rire. Que tu es folle, ma pauvre enfant me dit-elle ; tu fais des donations et tu te portes mieux que moi (elle avait quelque raison de dire cela, car elle était fort changée) ; va, ma fille, tu as tout l’air de ne faire ton testament de longtemps, et je n’y serai plus quand tu le feras, ajouta-t-elle en déchirant le papier qu’elle jeta dans ma cheminée ; garde ton bien pour mes petits-fils ; tu n’auras point d’autres héritiers, je l’espère.

Eh ! pourquoi dites-vous que vous n’y serez plus, ma