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Passons donc au lendemain. Mademoiselle Varthon se rendit chez cette amie de sa mère, dont le carrosse la vint chercher de si bonne heure qu’elle en murmura, qu’elle en fut de mauvaise humeur, et le tout encore à cause de moi avec qui elle était alors. Cependant elle en revint beaucoup plus tard que je ne l’attendais. Je n’ai pas été la maîtresse de quitter, me dit-elle, on m’a retenue malgré moi ; et il n’y avait rien de plus croyable.

Quelques jours après, elle y retourna encore, et puis y retourna ; il le fallait, à moins que de rompre avec la dame, à ce qu’elle disait, et je n’en doutai point ; mais elle me paraissait en revenir avec un fond de distraction et de rêverie qui ne lui était point ordinaire : je lui en dis un mot ; elle me répondit que je me trompais, et je n’y songeai plus.

Je commençais à me lever alors, quoique encore assez faible ; ma mère envoyait tous les jours au couvent pour savoir comment je me portais ; elle m’écrivit même une ou deux fois ; et de lettres de Valville, pas une.

Mon fils est bien impatient de te revoir ; mon fils te querelle d’être si longtemps convalescente ; mon fils devait mettre quelques lignes dans le billet que je t’écris, je l’attendais pour cela ; mais il se fait tard, il n’est pas revenu, et ce sera pour une autre fois.

Voilà toutes les nouvelles que je recevais de lui ; j’en fus si choquée, si aigrie, que, dans mes réponses à ma mère, je ne fis plus aucune mention de lui. Dans ma dernière, je lui marquai que je me sentais assez de force pour me rendre au parloir, si elle voulait avoir la bonté d’y venir le lendemain.

Je ne suis malade que du seul ennui de ne point voir ma chère mère, ajoutai-je ; qu’elle achève donc de me guérir, je l’en supplie. Je ne doutai point qu’elle ne vînt, et elle n’y manqua pas ; mais nous ne prévoyions ni l’une ni l’autre la douleur et le trouble où elle me trouva le lendemain.

La veille de ce jour, je me promenais dans ma chambre avec mademoiselle Varthon ; nous étions seules.