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Mais ce qui m’étonnait, c’est que Valville, de qui, dans des circonstances peut-être moins intéressantes, j’avais reçu de si fréquentes lettres, qu’il joignait à celles que m’écrivait sa mère, ou qui m’avait si souvent écrit un mot dans celles de cette dame, ne se fût point avisé en cette occurrence-ci de me donner de pareilles marques d’attention.

Dans le fort de ma maladie, me disais-je, j’avoue que ses lettres n’auraient pas été de saison : mais j’ai pensé mourir ; me voici convalescente ; il lui est permis de m’écrire, et il ne m’écrit point ; il ne me donne aucun témoignage de sa joie.

Peut-être, dans l’état languissant où je suis encore, a-t-il cru qu’il fallait s’abstenir de m’envoyer un billet à part ; mais il aurait pu, ce me semble, prier sa mère de m’en écrire un, afin d’y joindre quelques lignes de sa main ; et il ne songe à rien.

Cette négligence me fâchait ; je ne l’y reconnaissais pas. Qu’est devenu Valville ? Ce n’est plus là son cœur. Cela me chagrinait sérieusement ; je n’en revenais point.

J’ai refusé jusqu’à ce jour, me dit mademoiselle Varthon pendant que nos compagnes s’entretenaient, d’aller dîner chez une dame qui est l’intime amie de ma mère, et à laquelle elle m’a recommandée ; vous étiez trop malade, et je n’ai pas voulu vous quitter ; mais ce matin, avant que d’entrer chez vous, je lui ai enfin mandé par un laquais qu’elle m’a envoyé, que j’irais demain chez elle. Je m’en dédirai pourtant si vous le souhaitez, ajouta-t-elle. Voyez, resterai-je ? Je vous avertis que j’aimerais bien mieux être avec vous.

Non, lui répondis-je en lui prenant affectueusement la main, je vous prie d’y aller ; il faut répondre à l’envie qu’elle a de vous voir. Ayez seulement la bonté d’en revenir une demi-heure plus tôt que vous ne le feriez sans moi, et je serai contente.

Mais je ne le serais pas, moi, me repartit-elle ; et vous trouverez bon que j’abrège un peu davantage ; je ne prétends point m’y ennuyer si longtemps que vous le dites.