Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/394

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qui passe pour être si bon juge du mérite, serait une autre madame de Miran pour vous, si vous vouliez. Vous avez plu à tous ceux qui vous ont vue chez elle ; partout où vous avez paru, c’est de même ; nous en savons quelque chose. Je me compte pour rien, mais je ne m’attache pas aisément ; j’y suis difficile, et je me suis tout d’un coup intéressée à vous. Eh ! qui est-ce qui ne s’y intéressera pas ? Qu’est-ce pour vous qu’un amant de moins, qui se déshonore en vous quittant, qui ne fait tort qu’à lui et non pas à vous, et qui, de tous les partis qui se présenteront, n’est pas à mon gré le plus considérable ?

Ainsi, soyez tranquille, Marianne, je dis absolument tranquille ; il n’est pas question ici d’un grand effort de raison pour l’être ; et le moindre petit sentiment de fierté, joint à tout ce que je viens de vous dire, est plus qu’il n’en faut pour vous consoler.

Je la regardai alors, moitié vaincue par les raisons et moitié attendrie de reconnaissance pour toute la peine que je lui voyais prendre afin de me persuader ; et je laissai tomber amicalement mon bras sur elle d’un air qui signifiait, je vous remercie, il est bien doux d’être entre vos mains.

C’était là en effet ce que je sentais ; ce qui marquait que ma douleur se relâchait. Nous sommes bien près de nous consoler quand nous nous affectionnons aux gens qui nous consolent.

Cette obligeante fille resta encore une heure avec moi, toujours à me dire les choses du monde les plus insinuantes, qu’elle avait l’art de me faire trouver sensées. Il est vrai qu’elles l’étaient, je pense ; mais, pour m’y rendre attentive, il fallait encore y joindre l’attrait de ce ton affectueux, de cette bonté de cœur avec laquelle elle me les disait.

La cloche l’appela pour souper ; quant à moi, on m’apportait encore à manger dans ma chambre.

Ah çà ! me dit-elle en riant, je vous laisse. Mais ce n’est plus un enfant sans réflexion que je quitte, comme vous l’étiez lorsque je suis arrivée ; c’est une fille raisonnable, qui se connaît et qui se rend justice. Eh ! Seigneur, à quoi son-