Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/393

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l’abri d’une maladie ? Ne pouvait-il pas mourir ? et en ce cas, tout était-il perdu ? N’y avait-il plus de ressources pour vous ? et celles qui vous seraient restées, son inconstance vous les ôte-t-elle ? Ne les avez-vous pas aujourd’hui ? Vous l’aimez : pensez-vous que vous ne pourrez jamais aimer que lui, et qu’à cet égard tout est terminé pour vous ! Eh ! mon Dieu, mademoiselle, est-ce qu’il n’y a plus d’hommes sur la terre, et de plus aimables que lui, d’aussi riches, de plus riches même, de plus grande distinction, qui vous aimeront davantage, et parmi lesquels il y en aura quelqu’un que vous aimerez plus que vous n’avez aimé l’autre ? Que signifie votre désolation ? Quoi ! mademoiselle, à votre âge ! Eh ! vous êtes si jeune, vous ne faites que commencer à vivre. Tout vous rit ; Dieu vous a donné de l’esprit, du caractère, de la figure ; vous avez mille heureux hasards à attendre ; et vous vous désespérez parce qu’un homme, qui reviendra peut-être, et dont vous ne voudrez plus, vous manque de parole !

Voilà ce que mon amie me dit dans les premiers moments de ma douleur, ajouta ma religieuse ; et je vous le dirai aussi quand vous pourrez m’entendre.

Ici je fis un soupir, mais de ces soupirs qui nous échappent quand on nous dit quelque chose qui adoucit le chagrin où nous sommes.

Elle s’en aperçut. Ces motifs de consolation me touchèrent, me dit-elle tout de suite, et ils doivent vous toucher encore davantage ; ils vous conviennent plus qu’ils ne me convenaient. Mon amie me parlait de mes ressources ; vous en avez plus que je n’en avais : je ne vous le dis pas pour vous flatter ; j’étais assez passable ; mais ce n’était ni votre figure, ni vos grâces, ni votre physionomie ; il n’y a point de comparaison. À l’égard de l’esprit et des qualités de l’âme, vous avez des preuves de l’impression que vous faites à tout le monde de côté-là ; vous voyez l’estime et la tendresse que madame de Miran a pour vous ; je ne sache dans noire maison aucune personne raisonnable qui ne soit prévenue en votre faveur. Madame Dorsin, dont vous m’avez parlé, et