Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/397

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qu’elle conservât, mais qui la gêne trop ; de façon qu’elle en revient toujours à l’état qui lui est le plus commode, qui est d’être agitée.

Et c’est aussi ce qui m’arriva. Je songeai que non seulement Valville était un infidèle, mais que madame de Miran ne serait plus ma mère. Ah ! Seigneur, n’être point sa fille, ne point occuper cet appartement qu’elle m’avait montré chez elle !

Souvenez-vous-en, madame : de cet appartement j’aurais passé dans le sien ; quelle douceur ! Elle me l’avait dit avec tant de tendresse, je me l’étais promis, j’y comptais, et il fallait y renoncer ! Valville ne voulait plus que cela s’accomplît ; et dans mon petit arrangement de la veille je n’avais point songé à cet article-là.

Et ce portrait de ma mère, madame, que deviendra-t-il ? ce portrait que j’avais demandé, qu’elle m’avait assuré qu’on mettrait dans ma chambre, qui y est peut-être déjà, et qui y était inutilement pour moi ? Que de douleurs ! il m’en venait toujours de nouvelles.

J’attendais madame de Miran ce jour-là ; mais je ne l’attendais que l’après-midi, et cependant elle arriva le matin.

Ma religieuse, qui était venue chez moi quelques instants après que j’avais été habillée, et dont l’entretien m’avait encore soulagée, cette religieuse, dis-je, était à peine sortie, que je vis entrer mademoiselle Varthon.

Il n’était que onze heures du matin ; elle me parut abattue, mais moins triste que la veille. Je lui fis un accueil qu’on ne pouvait appeler ni froid ni prévenant, qui était mêlé de beaucoup de langueur ; et franchement, malgré tout ce qu’elle m’avait dit, j’avais quelque peine à la voir. Je ne sais si elle y prit garde, mais du moins ce fut sans témoigner y faire attention.

J’ai cru devoir vous apprendre une chose, me dit-elle d’un air ouvert, mais à travers lequel j’aperçus de l’embarras ; c’est que je sors d’avec M. de Valville.

Elle s’arrêta là, comme honteuse elle-même de la nouvelle qu’elle m’apprenait.