Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/398

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À ce début, si étonnant pour moi après tout ce qu’elle m’avait dit à cet égard, je soupirai d’abord. Ensuite : Je n’ai pas de peine à le croire, lui répondis-je toute consternée.

N’allez pas me condamner sans m’entendre, reprit-elle aussitôt ; je vous avais assuré que je ne le verrais plus, et c’était mon intention ; mais je n’ai pas deviné que c’était lui qui était là-bas. Et là-dessus elle disait vrai, je l’ai su depuis.

On est venu m’avertir qu’on me demandait de la part de madame de Miran, continua-t-elle, et vous sentez bien que je ne pouvais pas me dispenser de paraître ; il y aurait eu de l’impolitesse, et même de la malhonnêteté, à refuser de descendre sans avoir d’excuse valable à alléguer. Ainsi il a fallu me montrer, quoique avec répugnance, car j’ai hésité d’abord ; il semblait que j’avais un pressentiment de ce qui allait m’arriver. Jugez de mon étonnement quand j’ai trouvé M. de Valville au parloir.

Vous vous êtes donc retirée ? lui dis-je d’un voix faible et tremblante. Vraiment je n’y aurais pas manqué, me répondit-elle en rougissant ; mais dès que je l’ai vu, je n’ai pu résister à un mouvement de colère qui m’a prise, et qui était bien naturel ; n’auriez-vous pas été comme moi ? Non, lui dis-je ; il y aurait eu beaucoup plus de colère à vous en aller.

Peut-être bien, reprit-elle mais mettez-vous à ma place avec l’opinion que j’avais de lui.

Ce terme, que j’avais, me fit peur ; il n’était pas de bon augure.

Vous êtes bien hardi, monsieur, lui ai-je dit (c’est elle qui parle,) de venir encore me surprendre après la lettre que vous m’avez écrite et que vous ne m’avez fait recevoir qu’en me trompant. En venez-vous chercher la réponse ? La voici, monsieur : c’est que votre lettre et que vos visites m’offensent, et que le petit service que vous m’avez rendu, dont je vous savais gré, ne vous dispensait pas d’observer les égards que vous me devez, surtout dans les circonstances