Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/401

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est-ce donc là ce que vous voulez que j’écoute ? Est-ce là la consolation que vous m’apportez ?

Eh ! mais oui, reprit-elle, je me suis figuré que c’en était une. N’est-il pas plus doux pour vous de penser que ce n’est point par inconstance, ou faute d’amour, qu’il vous a laissée ; que même il s’est fait violence en vous quittant ; qu’il ne vous quitte que par des motifs qu’il croit raisonnables, et qui, si je ne me trompe, vous le paraîtront assez, si vous voulez que je vous les dise, pour vous ôter la désagréable opinion que vous avez de lui ? et je ne tâche pas à autre chose.

Ah çà ! voyons : vous m’avez conté votre histoire, ma chère Marianne ; mais il y a bien de petits articles que vous ne m’avez dits qu’en passant, qui sont extrêmement importants, et qui ont pu vous nuire. Valville, qui vous aimait, ne s’y est point arrêté, il ne s’en est point soucié ; et il a bien fait. Mais votre histoire a éclaté ; ces petits articles ont été sus de tout le monde, et tout le monde n’est pas Valville, n’est pas madame de Miran ; les gens qui pensent bien sont rares. Cette marchande de linge chez qui vous avez été en boutique ; ce bon religieux qui a été vous chercher du secours chez un parent de Valville ; ce couvent où vous avez été vous présenter pour être reçue par charité ; cette aventure de la marchande qui vous reconnut chez une dame appelée madame de Fare ; votre enlèvement d’ici, votre apparition chez le ministre en si grande compagnie ; ce petit commis qu’on vous destinait à la place de Valville, et cent autres choses qui font, à la vérité, qu’on loue votre caractère, qui prouvent qu’il n’y a point de fille plus estimable que vous, mais qui sont humiliantes, qui vous rabaissent, quoique injustement, et qu’il est cruel qu’on sache à cause de la vanité qu’on a dans le monde : tout cela, dis-je, dont Valville n’a tenu compte, lui a été représenté. Vous ne sauriez croire tout ce qu’on lui a dit là-dessus, ni combien on condamne sa mère, combien on persécute ce jeune homme sur le dessein qu’il a de vous épouser ; ce sont des amis qui rompent avec lui, ce sont des parents qui ne veulent plus le