Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/410

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paremment que me fournir une excuse dont il espérait que je profiterais ; mais il se trompa.

Vous m’excuserez, monsieur, répondis-je ; je ne me porte point mal ; et puisque madame veut bien me dispenser de m’habiller (notez que ce madame était pour ma mère), je serai charmée d’aller avec elle.

Qu’est-ce que c’est que madame ? reprit en riant madame de Miran ; à qui parles-tu ? Ta maladie t’a rendue bien grave ! Dites respectueuse, ma mère ; et je ne saurais trop l’être, repartis-je avec un soupir que je ne pus retenir, qui n’échappa point à madame Dorsin, et qui confondit l’inquiet et coupable Valville ; il en perdit toute contenance ; et en effet, il y avait de quoi. Ce soupir, avec ce respect dans lequel je me retranchais, n’avait point l’air d’être là pour rien. Madame Dorsin remarqua aussi qu’il en avait été troublé ; je le vis à la façon dont elle nous observait tous deux.

Madame de Miran allait peut-être me répondre encore quelque chose, quand mademoiselle Varthon entra dans un négligé fort décent et fort bien entendu.

Comme elle avait prévu que, malgré mes chagrins, je pourrais être de la partie du dîner, elle s’était sans doute abstenue, à cause de moi, de se parer davantage, et s’était contentée d’un ajustement fort simple qui semblait exclure tout dessein de plaire, ou qui, raisonnablement parlant, ne me laissait aucun sujet de l’accuser de ce dessein.

Je devinai tout d’un coup ce ménagement apparent qu’elle avait eu pour moi ; mais je n’en fus pas la dupe.

En pareil cas, une amante jalouse et trahie en sait encore plus qu’une amante aimée. Ainsi son négligé ne m’en imposa pas. Je vis au premier coup d’œil qu’il n’était pas de bonne foi, et qu’elle avait tâché de n’y rien perdre.

La petite personne avait bien voulu se priver de magnificence, mais non pas s’épargner les grâces.

Et moi, qui m’étais laissée comme je m’étais mise en me levant, qui n’avais précisément songé qu’à jeter sur moi une mauvaise robe ; moi, si changée, si maigre, avec des