Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/411

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yeux éteints, avec un visage tel qu’on l’a quand on sort de maladie, tel qu’on l’a aussi quand on est affligé (voyez que d’accidents à la fois contre le mien !), je me sentis mortifiée, je vous l’avoue, de paraître avec tant de désavantage auprès d’elle, et par là d’aider moi-même à justifier Valville.

Qu’un amant nous quitte ou nous en préfère une autre, eh bien ! soit ; mais du moins qu’il ait tort de nous la préférer ; que ce soit la faute de son inconstance, et non pas de nos charmes ; enfin, que ce soit une injustice qu’il nous fasse, c’est bien la moindre chose ; et il me semblait que je ne pourrais pas dire que Valville fût injuste.

De sorte que je me repentis de m’être engagée à dîner chez madame de Miran ; mais il n’y avait plus moyen de s’en dédire.

Et puis, dans le fond, il y avait bien des choses à alléguer en ma faveur ; ma rivale, après tout, n’avait pas tant de quoi triompher. Si elle était plus brillante que moi, ce n’était pas qu’elle fût plus aimable ; c’est seulement qu’elle se portait bien, et que j’avais été malade. J’étais dispensée d’avoir mes grâces, et elle était obligée d’avoir les siennes ; aussi les avait-elle, et voilà jusqu’où elles allaient, pas davantage ; au lieu qu’on ne savait pas jusqu’où iraient les miennes, quand elles seraient revenues.

Je ne vous répéterai point tous les compliments que ces dames lui firent. Il était heure de partir, et nous sortîmes toutes deux du couvent pour monter en carrosse.

Nous voici arrivées ; on servit quelques moments après.

J’appréhende que cette petite fille-là ne soit pas bien rétablie, dit madame de Miran en me regardant après le repas ; elle a je ne sais quelle mélancolie que je n’aime point ; était-elle de même dans votre couvent, mademoiselle ? (Elle parlait à mademoiselle Varthon, qui rougit de la question.) Mais oui, madame, à peu près, répondit-elle ; elle a de la peine à revenir ; il y a pourtant des moments où cela se passe ; sa maladie a été longue et violente.

Madame Dorsin ne disait mot, et nous avait toujours exa-