Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/414

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de rire, et sans trop savoir ce qu’il disait ; je vois bien, oui, c’est de moi, c’est ma lettre, j’oubliais de vous en parler : c’est une bagatelle. Vous étiez malade, la conversation roulait sur l’amour, et à l’occasion de cela j’ai plaisanté ; voilà tout. Je n’y songeais plus ; c’est que nous nous sommes rencontrés ailleurs, mademoiselle Varthon et moi ; je l’ai vue chez madame de Kilnare ; hélas ! tout le monde le sait ; il n’y a point de mystère ; je ne vous voyais pas, et on s’amuse. À propos de madame de Kilnare, j’ai grande envie que vous la connaissiez, je crois même lui avoir parlé de vous ; c’est une femme de mérite.

Je le laissai achever tout ce discours qui n’avait ni suite ni raison, et qui marquait si bien le désordre de son esprit ; je me taisais, les yeux baissés.

Quand il eut fini : Monsieur, lui dis-je sans lui faire aucun reproche, et sans relever un seul mot de ce qu’il avait dit, je dois rendre justice à mademoiselle Varthon ; ne l’accusez pas d’avoir sacrifié votre lettre, elle ne me l’a donnée ni par mépris ni par dédain pour vous ; je ne l’ai eue qu’à la suite d’un entretien que nous eûmes hier ensemble, et elle ne savait ni l’intérêt que je prenais à vous, ni celui que j’avais la vanité de croire que vous preniez à moi, je vous assure.

Mais la vanité, reprit-il avec une physionomie toute renversée, la vanité ! mais il n’y en a point là-dedans ; c’est un fait, mademoiselle.

Monsieur, lui répondis-je d’un ton modeste, ayez, je vous prie, la bonté de m’écouter jusqu’à la fin.

Mademoiselle Varthon, à qui vous rendîtes une visite il y a quelques jours, me dit, quand elle vous eut quitté, qu’elle sortait d’avec le fils de madame de Miran, qui était venu de sa part lui demander de ses nouvelles et des miennes ; et de la lettre que vous veniez de lui donner en même temps, elle ne m’en dit pas un mot. Mais hier, apprenant que notre mariage était conclu, elle demeura interdite.

Ah ! ah ! interdite ! s’écria-t-il ; eh ! d’où vient ? Vous me surprenez ; que lui importe ?