Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/415

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Je n’en sais rien, répondis-je. Mais, quoi qu’il en soit, je m’en aperçus ; je lui en demandai la raison, je la pressai ; l’aveu de la lettre lui échappa, et elle me la montra alors.

À la bonne heure, reprit-il encore ; elle était fort la maîtresse, et ce n’était pas là vous montrer quelque chose de bien important ; qu’est-ce que c’est que cette lettre ? On en sait bien la valeur, et je ne lui avais point défendu de la montrer.

Vous m’excuserez, monsieur, vous ne vous en ressouvenez pas ; et vous l’en priez dans la lettre même, repartis-je doucement : mais achevons ; je ne vous ai fait cette petite explication qu’afin que mademoiselle Varthon, supposé qu’elle vous aime, comme assurément vous avez lieu de l’espérer, ne dise point que j’ai parlé en jalouse ; ce qui ne me conviendrait pas avec une fille comme elle.

Mais qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que c’est que des explications, des jalousies ? s’écria-t-il. Que voulez-vous dire ? En vérité, mademoiselle Marianne, y songez-vous ? Que je meure, si je vous comprends ; non, je n’y entends rien.

Eh ! monsieur, lui dis-je, laissez-moi finir ; avec qui vous abaissez-vous à feindre ? Avez-vous oublié à qui vous parlez ? Ne suis-je pas cette Marianne, cette petite fille qui doit tout à votre famille, qui n’aurait su que devenir sans ses bontés, et mérité-je que vous vous embarrassiez dans des explications ? Non, monsieur, ne m’interrompez plus, le temps nous presse ; il faut convenir de quelque chose, vous savez les dispositions de votre cœur, mais songez donc que madame de Miran les ignore ; qu’elle vous croit toujours dans vos premiers sentiments ; que d’ailleurs elle m’honore d’une tendresse infinie ; qu’elle se figure que je serai sa fille ; qu’il lui tarde que je la sois, et qu’elle pourra fort bien se résoudre à ne pas attendre que vous ayez votre charge pour nous marier, d’autant plus que vous l’avez vous-même, il n’y a pas longtemps, fort pressée pour ce mariage ; qu’elle croira vous combler de joie en l’avançant.