Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/42

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grâce qui sont en lui. Il évitera toutes les pensées fines et un peu approfondies, par la raison toute simple qu’il faut des mots délicats aux pensées délicates, tout comme il faut des paroles triviales aux idées communes… » Et plus loin : « Les mots que l’on a l’habitude de voir ensemble n’expriment bien que les pensées de tout le monde. » Ainsi, il se défendait de toutes ses forces ; ou plutôt il se louait lui-même d’avoir su à ce point-là entrer dans les vraies finesses d’un sujet. Non, encore une fois non, dit-il, le vice, quand il y a vice, n’est pas dans la parole écrite ou parlée : il est dans l’idée, il est dans la pensée ; il est dans le fond, et non pas dans la forme. Ne faites pas un reproche à l’homme qui pense de trop approfondir le sujet qu’il traite ; au contraire, plus il le pénètre, et plus il y remarque des choses d’une extrême finesse que tout le monde sentira quand il les aura dites. Laissez crier les gens qui disent : Style précieux ! c’est tout comme s’ils s’écriaient : Mais aussi de quoi s’avise celui-là de tant penser et de découvrir, même dans les choses que tout le monde connaît, les côtés que peu de gens voient et qu’il ne peut exprimer que par un style qui paraîtra généralement précieux ? Cet homme-là a grand tort. Oui certes, ajoute-t-il ; il a grand tort, il faudrait le prier de penser moins. »

Pour compléter cette défense toute personnelle, Marivaux invoque, non pas sans quelque droit à leur protection, La Rochefoucauld, La Bruyère, Pascal, Montaigne. « Enfin, nous dit-il, en voilà un qui ne parlait ni français, ni allemand, ni breton, ni suisse ; il pensait, il s’exprimait au gré d’une âme singulière et fine. Montaigne est mort, on lui rend justice. C’est cette singularité d’esprit, et conséquemment de style, qui fait aujourd’hui son mérite. »