Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas, à entendre les habiles, qu’en fait de style il n’est question que des mots et non des pensées ?

» Il n’est pas de style noble, affecté, obscur ; mais il y a des pensées nobles, affectées, obscures. Supposons une femme qui commande un meuble de quatre couleurs ; on exécute ce meuble comme elle l’a commandé. Vous, cependant, quand ce meuble est commencé sur les indications de cette femme, vous trouvez que cela déplaît, irez-vous dire à cette femme : Mais, madame, ce ne sont pas là les couleurs qu’il eût fallu employer ? Non, certes. Car en effet ce sont là les couleurs qu’elle avait imaginées ; c’est le meuble qu’elle avait disposé dans sa pensée. Les couleurs sont bonnes ; seulement, le projet du meuble ne valait rien. Les couleurs sont le style de la chose ; en un mot, il n’y a pas de style, il n’y a que l’idée. J’ai vu un arbre, un ruban ; j’ai vu un homme en colère, amoureux, jaloux ; j’ai vu tout ce qui se peut voir par les yeux de l’esprit et par les yeux du corps. De toutes ces différentes choses il est resté l’image ; or dans une langue bien faite chacune de ces images a son signe, elle a le mot qui la représente. Il ne s’agit que de bien savoir sa langue pour bien rendre toute sa pensée. Donc telle pensée, tel style. » Ainsi raisonne Marivaux. Et voyez la singulière aventure, l’auteur des Fausses Confidences arrive, par ces petits sentiers fleuris, à la définition même de M. de Buffon : « Le style, c’est l’homme. »

Plus loin il reprend, car évidemment il est préoccupé de ce mot : marivaudage : « Vous accusez un homme d’avoir un style précieux ! Qu’est-ce que cela signifie ? Que voulez-vous dire avec votre style précieux ? Supposez un homme d’esprit qui, de peur de mériter ce même reproche, va ne faire que des phrases : pour ne pas être précieux il s’efforcera de cacher tout à fait l’esprit et la