Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/421

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point, ils sont au-dessus de moi. M. de Valville ne pourrait m’en faire part sans me rendre l’objet de la risée de tout le monde, sans passer lui-même pour un homme sans cœur. Eh ! quel malheur ne serait-ce pas qu’un jeune homme comme lui, qui peut aspirer à tout, qui est l’espérance d’une famille illustre, fût peut-être obligé de déserter sa patrie pour avoir épousé une fille que personne ne connaît, une fille que vous avez tirée du néant, et qui n’a pour tout bien que vos charités ! S’accoutumerait-on à un pareil mariage ?

Mais que va-t-elle dire avec ces réflexions ? De quoi s’avise-t-elle ? Où va-t-elle chercher ce qu’elle dit là ? s’écria encore madame de Miran en m’interrompant.

De grâce, écoutez-moi, madame, insistai-je ; dans le fond, ce qu’il y a de plus digne en moi de vos attentions et des siennes, assurément c’est ma misère. Eh bien ! ma mère, vous y avez eu tant d’égard, vous y en avez tant encore ! Vous voulez que Marianne vous appelle sa mère, vous lui faites l’honneur de l’appeler votre fille, vous la traitez comme si elle l’était ; cela n’est-il pas admirable ? Y a-t-il jamais eu rien d’égal à ce que vous faites ? et n’est-ce pas là une misère assez honorée ? Faut-il encore porter la charité jusqu’à me marier à votre fils, et cette misère est-elle une dot ? Non, ma chère mère, non. Votre cœur peut, tant qu’il voudra, me donner la qualité de votre fille, c’est un présent que je puis recevoir de lui sans que personne y trouve à redire ; mais je ne dois pas le recevoir par les lois, je ne suis point faite pour cela. Il est vrai que je m’étais rendue à vos bontés ; je croyais tout surmonté, tout paisible. L’excès de mon bonheur m’empêchait de penser, m’avait ôté tous mes scrupules ; mais il n’y a plus moyen ; c’est tout le monde qui crie, qui se soulève, et je vous parle d’après tous les discours qu’on tient à M. de Valville, d’après les persécutions et les railleries qu’il essuie et qu’il trouve partout, de quelque côté qu’il aille. Quoiqu’il me le cache et qu’il n’ose vous le dire, elles l’étonnent, il en est effrayé lui-même, il a raison de l’être ; et quand il ne s’en soucie-