Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/422

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rait pas, ce serait à moi à m’en soucier pour lui, et même pour moi ; car enfin vous m’aimez, votre intention est que je sois heureuse, et ce serait moi cependant qui trahirais les desseins de votre tendresse ; des desseins que je dois tant respecter, qui méritent si bien de réussir, je les trahirais en consentant à épouser monsieur. Comment serais-je heureuse s’il ne l’était pas lui-même, si je m’en voyais méprisée, si je m’en voyais haïe, comme on le menace que cela arriverait ? Ah ! Seigneur, moi haïe !

À cet endroit de mon discours, un torrent de larmes m’arrêta.

Valville, qui, pendant que j’avais parlé, avait fait de temps en temps comme quelqu’un qui veut répondre, mais qu’on ne laisse pas dire, se leva tout d’un coup d’un air extrêmement agité, et sortit de la salle sans que personne le retînt, ou lui demandât compte de sa sortie.

De son côté, madame de Miran était restée comme immobile. Madame Dorsin, morne et pensive, regardait à terre. Mademoiselle Varthon, plus inquiète que jamais de ce que je pourrais dire, ne songeait qu’à prendre une contenance qui ne l’accusât de rien ; de sorte que nous étions toutes, chacune à notre façon, hors d’état de parler.

Quant à moi, affaiblie par l’effort que je venais de faire, je m’étais laissée aller sur les genoux de madame de Miran, et je pleurais.

Ces deux dames, après la sortie de Valville, furent quelques instants sans rompre le silence. Ma fille, me dit à la fin madame de Miran d’un air consterné, est-ce qu’il ne t’aime plus ?

Je ne lui répondis que par des pleurs, et puis elle en versa elle-même. Madame Dorsin n’en fut pas exempte, elle me parut extrêmement touchée. J’entendis mademoiselle Varthon qui soupira un peu ; on était sur ce ton-là et elle s’y conforma ; ensuite on continua de se taire.

Mais madame de Miran, fondant en larmes, et me serrant entre ses bras, m’attendrit et me remua tant que mes sanglots pensèrent me suffoquer, et qu’il fallut me jeter dans