Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/423

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un fauteuil. Allons, ma fille, allons, console-toi, me dit-elle ; va, ma chère enfant, il te reste une mère ; est-ce que tu la comptes pour rien ?

Hélas ! c’est elle que je regrette, répondis-je je ne sais comment et d’une parole entrecoupée. Eh ! pourquoi la regretter ? me dit-elle, elle est plus ta mère que jamais. Et moi, mille fois plus encore son amie que je ne l’étais, reprit madame Dorsin la larme à l’œil, mais d’un ton ferme ; ce n’est pas elle que je plains, c’est M. de Valville ; il fait une perte infiniment plus grande.

Ah ! voilà qui est fini, je ne l’estime de ma vie, reprit madame de Miran. Mais, Marianne, comment sais-tu qu’il aime ailleurs, ajouta-t-elle ; par qui en es-tu informée, puisque ce n’est pas lui qui te l’a avoué ? La connaît-on cette personne pour qui il rompt ses engagements ? Qui est-ce qui est digne de t’être préférée ? Peut-elle te valoir ? Espère-t-elle de le retenir ? Dis-moi, t’a-t-on dit qui elle est ?

Vous le saurez sans doute, ma mère ; il faudra bien qu’il vous le dise lui-même, répondis-je ; dispensez-moi, je vous prie, de vous en apprendre davantage. Mademoiselle, reprit encore madame de Miran en s’adressant à ma rivale, ma fille est votre amie ; je suis persuadée que vous êtes instruite, elle vous a apparemment tout confié ; ne se tromperait-elle point ? Cette nouvelle inclination est-elle bien prouvée ? J’ai quelquefois envoyé Valville à votre couvent, serait-ce là qu’il aurait vu celle dont il s’agit ?

Dans le cas où se trouvait mademoiselle Varthon, il aurait fallu plus d’âge et plus d’usage du monde qu’elle n’en avait pour être à l’épreuve d’une pareille question. Aussi ne la put-elle soutenir, et rougit-elle d’une manière si sensible, que ces dames furent tout d’un coup au fait.

Je vous entends, mademoiselle, lui dit madame de Miran : vous êtes assurément fort aimable ; mais après ce qui arrive à ma fille, je ne vous conseille pas de compter sur le cœur de mon fils.

Je ne me serais attendue ni à votre comparaison ni à votre conseil, madame, répondit mademoiselle Varthon avec