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suive tout à l’heure ; prenez cette enfant dans vos bras, et montez avec moi au château.

Il fallut que la servante obéît, et me portât jusqu’à l’appartement de ma mère, que ses femmes allaient coiffer quand nous entrâmes.

Ma fille, lui dit en entrant madame de Tresle, on veut me persuader que cette enfant-ci est mademoiselle de Tervire, et cela ne saurait être : on ne ramasserait pas les hardes qu’elle a. Ce n’est, sans doute, que quelque misérable orpheline que la femme de votre concierge a retirée par charité, n’est-ce pas ?

Ma mère rougit ; cette façon de lui reprocher sa conduite à mon égard avait quelque chose de si vif, c’était lui reprocher avec tant de force qu’elle me traitait en marâtre, et qu’elle manquait d’entrailles, que l’apostrophe la déconcerta d’abord, et puis la fâcha.

Il y a trois jours, dit-elle, que je suis indisposée, et que je ne vois rien de ce qui se passe. Retirez-vous, et que cette impertinente de concierge vienne me parler tantôt, ajouta-t-elle à cette servante d’un ton qui marquait plus de colère contre moi que contre celle qu’elle appelait impertinente.

Madame de Tresle, à qui mon attirail tenait au cœur, ne fut pas plus tôt tête à tête avec elle, qu’elle lui témoigna sans ménagement toute la pitié que je lui faisais ; elle ne lui parla plus qu’avec larmes de l’état où elle me trouvait, et qu’avec effroi de celui où elle prévoyait que je tomberais infailliblement dans la suite.

Ma grand’mère était naturellement vive ; il n’y avait point de femme qui fût plus au fait de la matière dont il était question, ni qui pût la traiter de meilleure foi, ni avec plus d’abondance de sentiment qu’elle.

C’était de ces mères de famille qui n’ont de plaisir et d’occupation que leurs devoirs, qui les respectent, qui mettent leur propre dignité à les remplir, qui en aiment la fatigue et l’austérité, et qui, dans leur maison, ne se délas-