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dinaire à tous les hommes qui ont beaucoup amusé leurs semblables ; c’est dans ce sens et en pensant à tous ces amusements frivoles qu’il a écrit : Malheur à ceux qui font rire ! heureux ceux qui pleurent ! L’ennui, c’est la fin de tous ces illustres génies : Molière, Cervantès, Rabelais, Le Sage. Cependant, malgré tout l’esprit qu’il avait dépensé, Marivaux en avait conservé encore assez pour regarder d’un œil calme et serein toutes les misères de son isolement et de son âge. À toutes ses passions d’autrefois, car il n’avait pas vécu sans quelques-unes de ces belles et vives passions qui sont comme autant de feux-follets semés dans la vie des hommes de génie, la charité seule avait survécu.

L’abbé de Randonvilliers, précepteur des enfants du roi Louis XV, remplaça Marivaux à l’Académie française. Lui-même il avait remplacé d’Houdeville, l’auteur de l’excellent livre de la Religion prouvée par les faits. Ainsi il se trouva placé, comme c’était son droit et son heureuse étoile, entre deux nobles esprits, deux esprits courageux et chrétiens.

Il nous semble que bien peu d’existences littéraires ont été aussi complètes, non pas seulement par le talent, par l’esprit, par la grâce ingénieuse et piquante ; mais encore, et voilà véritablement le beau côté de la philosophie et des belles-lettres, par le désintéressement, par la bonté, par le dévouement, par les plus sincères, les plus nobles, les plus modestes vertus.


Jules Janin.