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baron, lui dit madame de Sainte-Hermières, et que je n’ai pas eu de peine à la résoudre.

Là-dessus, je le saluai toute palpitante. Elle me fait bien de l’honneur, répondit-il en me rendant mon salut avec une satisfaction qu’il modéra tant qu’il put, de crainte qu’elle ne fût immodeste, mais qui, malgré qu’il en eût, ranima ses yeux ordinairement éteints.

Il me tint ensuite quelques discours dont je ne me ressouviens plus, qui étaient fort mesurés et fort retenus, et cependant plus amoureux que galants, des discours d’un dévot qui aime.

Enfin, il fut conclu que le baron écrirait dès ce jour-là à ma mère, que madame de Sainte-Hermières joindrait une lettre à la sienne, et que je mettrais deux mots au bas de celle de cette dame pour marquer que j’étais d’accord de tout.

On convint aussi de tenir l’affaire secrète, et de ne la déclarer que le jour du mariage, parce que le baron avait un neveu qui était son héritier, et qu’il n’était pas nécessaire d’instruire d’avance.

Ce neveu, tout absorbé qu’il était, disait-on, dans la piété la plus profonde, avait pu cependant compter tout doucement sur la succession de son oncle ; d’autant plus que les contradictions qu’il avait essuyées de la part de son évêque, et l’impossibilité où il s’était vu de s’avancer dans les ordres, l’avaient obligé de quitter le petit collet il n’y avait que deux mois.

Ce garçon si pieux, que M. le baron ne nommait pas, cet héritier qu’on craignait de chagriner trop tôt, et que ce petit collet qu’on disait qu’il n’avait plus m’avait d’abord fait reconnaître, c’était cet abbé dont j’avais délivré mon amie la religieuse.

Vous observerez que, depuis ce qui s’était passé entre lui et moi, il était venu assez souvent me voir chez M. Villot, tant pour me remercier du silence que j’avais gardé sur son aventure, que pour me conjurer d’avoir toujours cette charité-là pour lui (c’était ainsi qu’il appelait ma discrétion), et pour m’assurer qu’il ne songeait plus à la religieuse ; en