Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/486

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la vérité je ne criais point, mais qu’on présumait ou qu’on m’en empêchait ou que je n’osais crier, qu’il y avait apparence que c’étaient des voleurs, et qu’elle conjurait ces messieurs de venir à mon secours et au sien, avec ses gens qui étaient tous levés.

Voilà pourquoi je les vis tous armés, quand ils ouvrirent ma porte.

L’abbé, qui savait bien ce qui arriverait, venait de me remettre dans mon fauteuil, et me tenait encore une main, quand ils parurent.

Je me retournai avec cet air de désolation que j’avais, et le visage tout baigné de pleurs.

À cette apparition, je fis un cri de douleur, qu’on dut attribuer à la confusion que j’avais de me voir surprise avec l’abbé. Ajoutez à cela que mes larmes déposaient encore contre moi ; car, puisque je n’avais appelé personne, d’où pouvaient-elles venir dans les conjonctures où j’étais, que de l’affliction d’une amante qui va se séparer de ce qu’elle aime ?

Je me souviens que l’abbé se leva lui-même d’un air assez honteux.

Quoi ! vous, mademoiselle ! vous que j’ai crue si vertueuse ! Ah ! madame, à qui se fiera-t-on ? dit alors M. de Sercour.

Il me fut impossible de répondre, mes sanglots me suffoquaient. Pardonnez-moi le chagrin que je vous donne, monsieur, lui dit alors l’abbé ; ce n’est que depuis trois ou quatre jours que je sais l’intérêt que vous prenez à mademoiselle, et la nécessité où elle est, dit-elle, de vous épouser. Dans le trouble où la jetait ce mariage, elle a souhaité de me voir encore une fois, et c’est une consolation que je n’ai pu lui refuser. J’ai cédé à ses instances, à ses chagrins, au billet que voici, ajouta-t-il en lui faisant lire le peu de mots qu’il contenait ; enfin, monsieur, elle pleurait, elle pleure encore, elle est aimable, et je ne suis qu’un homme.

Quoi ! ce billet !… m’écriai-je alors, et je m’arrêtai là ;