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deux ou trois mois après son évasion, persuadées qu’il n’y répugnerait pas, d’autant qu’il sentait alors tout le tort qu’il s’était fait. Quelle apparence d’ailleurs qu’après ses extravagances passées, qui montraient si peu de cœur, il fût de caractère à s’effrayer d’une mauvaise action de plus ? Celle-ci l’arrêta cependant. On ne connaît rien aux hommes ; et cet insensé, qui s’était si peu soucié de ce qu’il se devait à lui-même, qui n’avait pas hésité d’être si lâche à ses dépens, refusa de l’être aux dépens de sa femme, pour qui sa passion était déjà éteinte.

Tout le monde l’abandonna, et il y avait près de dix-sept ans qu’on ne savait ce qu’il était devenu.

Tervire le cadet, qui avait autrefois été instruit par son père d’une partie de ce que je vous dis là, par son père à qui madame Dursan l’avait écrit, présuma que son fils était mort, puisqu’elle revenait finir ses jours dans sa patrie, ou du moins se flatta qu’il ne se serait pas réconcilié avec elle, et qu’en cultivant ses bonnes grâces, il pourrait encore être substitué à la place de ce fils, comme il l’avait été à celle de mon père.

Plein de cette espérance flatteuse, et déjà tout ému de convoitise, le voilà qui part pour aller trouver sa tante, et qui, dans sa petite tête (car il avait peu d’esprit), projette en chemin les moyens d’envahir la succession ; moyens aussi sots que lui, et qui se terminèrent, comme on a jugé depuis, à prodiguer les respects, les airs d’attachement, les complaisances et toutes sortes de finesses de cette espèce. Ce fut là tout ce qu’il put imaginer de plus adroit.

Mais malheureusement pour lui il avait affaire à une femme de bon sens, d’un caractère simple et tout uni, que ses façons choquèrent, qui comprit tout d’un coup à quoi elles tendaient, et qu’elles dégoûtèrent de lui.

Il lui offrit son château qu’elle refusa ; mais comme il ne l’habitait point, qu’il avait fixé sa demeure ailleurs et bien loin de là, qu’elle y avait été élevée, elle s’offrit de l’acheter avec la terre de Tervire.

Il ne demandait pas mieux que de s’en défaire, et un autre