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cette aimable fille, fit, à son retour de Saint-Malo, tout ce qu’il put auprès de sa mère pour obtenir la permission d’épouser sa maîtresse.

Madame Dursan, que quelques amis avaient informée de tout ce que je viens de vous dire, frémit d’indignation aux instances de son fils, s’emporta contre lui, l’appela le plus lâche de tous les hommes s’il persistait dans son dessein, qu’elle traitait d’horrible et d’infâme.

Son fils, après quelques tentatives qui furent encore plus mal reçues, bien convaincu à la fin de l’impossibilité de gagner sa mère, acheva sans bruit de perdre le peu de raison que l’espérance de réussir lui avait laissée, ferma les yeux sur tout ce qu’il allait sacrifier à sa passion, et résolut froidement sa ruine.

Il trouva le moyen de voler vingt mille francs à sa mère, partit pour Saint-Malo, rejoignit sa maîtresse, qu’il abusa par un consentement qui paraissait être de sa mère dont il avait contrefait l’écriture, eut le temps de l’épouser avant que madame Dursan, qui s’aperçut trop tard de ce vol, pût y mettre obstacle, et la força ensuite de se sauver avec lui, pour échapper aux poursuites de sa mère, après lui avoir avoué qu’il l’avait trompée.

Trois ou quatre ans après, il avait écrit deux ou trois fois de suite à madame Dursan, qui, pour toute réponse au repentir qu’il marquait de sa faute, lui fit mander à son tour qu’elle ne voulait plus entendre parler de lui, et qu’elle n’avait que sa malédiction à lui donner.

Dursan, qui connaissait sa mère et qui se jugeait lui-même indigne de pardon, désespéra de la faire changer de sentiment, et cessa de la fatiguer par ses lettres.

Son mariage aurait sans doute été déclaré nul, s’il avait voulu ; son âge, l’extrême inégalité des conditions, l’infamie de ces petites gens avec lesquels il s’était allié, le crédit et les richesses de sa mère, tout était pour lui, tout l’aurait aidé à se tirer d’affaire, s’il avait seulement commencé par se séparer de cette fille ; et quelques personnes, à qui il avait d’abord confié le lieu de sa retraite, le lui proposèrent