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s’ensuivait de ma ressemblance avec le portrait de madame Dursan qu’on ne pouvait louer les grâces que j’avais sans louer celles qu’elle avait eues. Je ne faisais point d’impression qu’elle n’eût faite ; elle aurait inspiré tout ce que j’inspirais ; c’eût été la même chose, témoin le portrait ; et cela la réjouissait encore, toute vieille qu’elle était. L’amour-propre tire parti de tout, il prend ce qu’il peut, suivant l’âge et l’état où nous sommes ; et vous jugez bien que je n’y perdais pas, moi, à lui faire tant d’honneur, et à me montrer ainsi ce qu’elle avait été.

Voilà donc dans quelles circonstances Tervire repartit pour la Bourgogne.

M. Villot, qui croyait ne m’avoir laissée au château que pour une semaine ou deux, revint me chercher le lendemain du départ de mon oncle ; mais madame Dursan, qui ne m’avait retenue aussi que pour quelques jours, n’était plus d’avis que je la quittasse.

Parle donc, ma petite, me dit-elle en me prenant à part, t’ennuies-tu ici ? Non vraiment, ma tante, répondis-je ; mais, en revanche, je pourrais bien m’ennuyer ailleurs. Eh bien ! reste, reprit-elle ; tu seras chez moi encore plus honnêtement que chez Villot, je pense.

C’est ce qui me semble, lui dis-je en riant. J’écrirai donc demain à ta mère que je te garde, ajouta-t-elle ; entre nous, tu n’étais pas là dans une maison convenable à une fille née ce que tu es. Mademoiselle de Tervire en pension chez un fermier ! Voilà qui est joli ! Plus joli que d’être la pensionnaire d’un pauvre vigneron, comme j’ai pensé l’être, ma tante, lui repartis-je toujours en badinant.

Je le sais bien, ma petite, me répondit-elle ; on me conta avant-hier toute ton histoire, et l’obligation que tu as au bonhomme Villot, que j’estime aussi bien que sa femme ; je suis instruite de tout ce qui te regarde, et je ne dis rien de ta mère ; mais tu as de fort aimables tantes ! Quelle parenté ! Elles sont venues me voir, et je leur rendrai leur visite ; il le faudra bien ; tu seras avec moi, c’est un plaisir que je veux me donner.